LE FEU RECONQUIS
C'est grâce au feu que les premiers hommes, à l'âge de pierre, ont pu assurer peu à peu leur domination sur les animaux, vaincre leur peur de la nuit, faire cuire leurs aliments, fabriquer des outils. Les Grecs racontaient que Prométhée avait dérobé le feu dans l'Olympe pour le donner aux hommes et les Romains gardaient le culte de Vesta. La guerre du feu est un récit où J.-H Rosny ainé reconstitue l'atmosphère des temps préhistoriques. Oulhamr ont laissé éteindre le feu et ne savent pas le rallumer; trois de leurs guerriers, commandéa par Naoh, le fils du Léopard partent pour tenter de reconquérir un nouveau feu; ils échappent aux bêtes féroces, font alliance avec les Mammouths et après une âpre lutte, ils prennent le feu des Kzamms ou Dévoreurs d'hommes.
Alors, la joie de Naoh gronda comme un torrent. Il considéra avec un rire rauque le brasier où soubressautaient des flammes. Sous les astres profonds dans la rumeur du fleuve, au murmur léger de la brise, entrecoupé du glapissement des chacals et de la voix d'un lion perdu à l'autre rive, il avait peine à concevoir son triomphe.
Et il criait d'une haletante:
"Naoh est maitre du feu!"
Il lui semblait être la vie souveraine du monde. Il tournait lentement autour de la bête rouge, il allongeait la main vers elle, il exposait sa poitrine à cette caresse depuis si longtemps perdu. Puis, il murmurait encore, dans le ravissement et dans l'extase:
"Naoh est maitre du feu!"
A la longue, la fièvre de son bonheur s'apaisa. Il recommença de craindre le retour des Kzamms; il lui fallait emporter sa conquête.
Déliant les pierres minces qu'il portait avec lui, depuis son départ du grand marécage, il se disposa à les réunir avec des brindilles, des écorces et des roseaux. Comme il furetait autour du camp, il eut une joie nouvelle; dans un repli du terrain, il venait d'apercevoir où les Dévoreurs d'Hommes entretenaient le Feu.
C'était une sorte de nid en écorce, garni de pierres plates disposées avec un art grossier, patient et solide; une petite flamme y scintillait encore. Quoique Naoh sût fabriquer les cages à feu aussi bien qu'aucun homme de sa horde, il lui eût été difficile d'en faire une aussi parfaite.
Il y fallait le loisir, un choix attentif des pierres, des remaniements nombreux. La cage des Kzamms était composée d'une triple couche de feuilles de schiste, maintenue extérieurement par une écorce de chaine vert; elle était reliée par des branchettes flexibles. Une fente maintenait un tirage léger.
Ces cages demandaient une vigilence incessante; il fallait défendre la flamme contre la pluie et les vents; prendre garde qu'elle ne décrût ni n'augmentât au-delà de certains limites fixées par une expérience millénaire, et renouveler souvent l'écorce.
Naoh n'ignorait aucun des rites transmis par les ancêtres; il ranima légerment le feu, il imbiba la surface extérieure d'un peu d'eau puisée dans une flaque, il vérifia la fente et l'état du schiste. (...).
D'ailleurs, il était plus urgent d'écraser le foyer; il en éparpilla les tisons à l'aide d'une des massues laissées par les vaincus, il les réduisit en fragments trop menus pour durer jusqu'au retour des guerriers, puis, entravant les blessés dans les roseaux et des branches, il cria:
"les Kzamms n'ont pas voulu donné un tison au fils du Léopard et les Kzamms n'ont plus de feu. Ils rôderont dans la nuit et dans le froid, jusqu'à ce qu'ils aient rejoint leur horde!... Ainsi, les Oulhamr sont devenus plus forts que les Kzamms!".
Nam qui a pu échapper à ses ennemis, rejoint Naoh. Avant de partir à la recherche de Gaw, ils jouissent d'abord un peu de leur victoire.
Ils s'assirent devant ce faible feu et ce fut comme si le brasier des nuits les protégeait de sa véhémence, au bord des cavernes natales, sous les étoiles f roides, devant les flammeroles du Grand Marécage. L'idée du long retour ne leur était plus pénible (...).
J. H. Rosny ainé, La Guerre du Feu.