SAINT-SIMON (1675 - 1755)
Bien que l'oeuvre de Saint-Simon ait été écrite au XVIIIème siècle, il convient de rattacher cet écrivain à l'époque sur laquelle il a porté son témoignage, celle du classicisme finissant.
Saint-Simon est né à Paris en 1675. Son père l'éduque dans l'admiration de Louis XIII à qui sa famille doit toute sa noblesse. Après un court passage à l'armée, il démissionne, jugeant qu'il ne monte pas assez vite en grade. Il vient à la cour et loge à Versailles. Bien que très vaniteux et très fier de sa noblesse, il se fait un devoir d'assister au lever et au coucher du roi et de suivre en tout point l'étiquette, comme un courtisan servile.
Après la mort de Louis XIV, l'arrivée au pouvoir de son ami le duc d'Orléans lui donne enfin le rôle politique qu'il attendait. Il fait partie du conseil de régence, et est chargé d'une ambassade extraordinaire en Espagne pour demander la main de l'Infante pour Louis XV.
A la mort du régent, on le prie de quitter la cour où il s'était rendu insupportable. Il se retire chez lui, tantôt à Paris, tantôt en Normandie, jusqu'à sa mort, tout occupé à rédiger ses Mémoires.
LES MEMOIRES
Grand lecteur de mémoires pendant sa jeunesse, Saint-Simon commence dès l'âge de 19 ans à noter au jour le jour ce qu'il entreprend de mettre en forme les notes accumulées. Il consacre douze ans à ce travail, sachant que le lecteur ne demande pas aux mémoires la même chose qu'à l'histoire; les mémoires servent à nous faire pénétrer dans les coulisses de l'histoire: "On voudrait y voir les princes avec leurs maitresses, et les ministres dans leur vie journalière. Outre une curiosité si raisonnable, on en connaitrait bien mieux les moeurs du temps et le génie des monarques".
A sa mort, tous ses biens sont saisis par ses créanciers. Plus tard, ses écrits sont mis sous séquestre par ordre du roi. Ce n'est qu'au XIXème siècle que les Mémoires de Saint-Simon auront le droit d'être publiées.
Saint-simon s'était donné pour tâche de "savoir le mieux qu'il pourrait les affaires de son temps". Poussé par une curiosité insatiable, adorant regarder (ses yeux ont une mémoire fidèle et il s'est lui-même défini comme un "voyeux"), il a mis par écrit tout ce que sa position sociale lui a permis de voir. Il a beau être fier et vaniteux, il parle peu de lui et se cantonne dans le rôle du témoin qui observe. Il excelle dans l'art du portrait. Les acteurs qu'il nous montre sont les gens de la cour à fin du règne de Louis XIV et au début du règne de Louis XV. Les anecdotes se succèdent, tantôt tristes, tantôt plaisantes, comme cette scène où Louis XIV s'emporte contre son ministre Louvois: "Le roi fut à l'instant et contre son naturel, si transporté de colère qu'il se jetta sur les pincettes de la cheminée, et en allait charger Louvois, sans madame de Maintenon qui se jeta aussitôt entre eux deux en s'écriant: "Ah! Sire, qu'allez-vous faire? et lui ôta les pincettes des mains".
Mais sa gourmandise pour les détails lui fait prendre au sérieux des faits insignifiants, tandis qu'il donne à de grands événements des explications mesquines. Il n'a que haine et mépris pour le régime de Louis XIV et ses ministres bourgeois qui ont pris la place de la noblesse; dépité, il écrit que celle-ci n'est désormais plus "bonne qu'à se faire tuer" à la guerre et "n'a d'autre choix que de croupir dans une mortelle et ruineuse oisiveté", alors qu'elle a vocation d'être la vraie conseillère du roi. Il n'est cependant pas malveillant par principe et sait se montrer généreux et sensible aux misères des petits gens accablées d'impôts.
Observateur très doué, ses récits et tableaux sont pleins de formes, d'images et de mouvements. Ses portraits des personnages de la cour ont beaucoup de relief. Sa vraie grandeur vient de ce qu'il considérait lui-même comme des défauts: ses négligences de style, ses répétitions, la longueur de phrases désarticulées. Cette indifférence aux règles du bon usage fait la modernité et la vitalité de ce style très personnel. Saint-Simon a écrit l'une des oeuvres les plus originales de la prose française et Chateaubriand disait de lui: "il a écrit à la diable pour l'immortalité".