Après de belles lignes consacrées sur ce site au Romantisme, il n'y a guère de chose à rajouter si ce n'est en guise de partage quelques réflexions supplémentaires tant le sujet est important et riche.
Le Romantisme, on en conviendra, est plus qu'un mouvement littéraire. De même que le Classicisme contre lequel il semble s'élever reste aussi vivant et indépassable, de même le Romantisme, malgré le Réalisme, le Naturalisme, le Symbolisme reste indépassable. Il est pour ainsi dire dans le destin des courants littéraires d'apparaître et de s'affirmer contre ceux du passé tout en s'appuyant sur leur héritage comme un ingrédient indispensable à leur développement et leur épanouissement. C'est dire que malgré la force révolutionnaire qu'il contient parce qu'il prend sa source à la Révolution de 1789, le Romantisme en s'affirmant valide le Classicisme. Le romantique Chateaubriand devenu classique exprime, entre autres, ce renversement bien plus qu'une rupture.
Un petit tour d'horizon s'impose d'emblée concernant le mot lui-même pour mieux saisir la complexité qui de ce mouvement. Pour les contemporains déjà le Romantisme pose problème dans sa définition: « La définition du Romantisme, écrit la Duchesse de Duras en 1824, c'est d'être indéfinissable, c'est un genre indépendant qui prend ses beautés où il les trouve, qui ne croit qu'à lui-même... ». Mais, cette impossibilité renferme si on est attentif les deux éléments qui définissent le mieux ce courant: indépendance et lui-même. D'une part la liberté, de l'autre « la personne » seront les deux chemins inséparablement empruntés par les Romantiques. La difficulté de définir n'est pas propre aux débuts et aux contemporains du mouvement. Plus près de nous Valéry écrit: « Il faudrait avoir perdu tout esprit de rigueur pour définir le Romantisme ». N'est-ce pas là une mise en garde éclairante...et en même temps une définition ? Les Romantiques qui s'élèvent contre la rigueur du Classicisme échappent par définition à toute définition. A ces phrases de Valéry celles d'Henry Brémond font écho: « Il y a autant de romantismes que de Romantiques. Le Romantisme est un être de raison ». Un autre mot jette le trouble: la raison. Les Romantiques qui cherchent à rompre avec le Classicisme fait de règles, seraient contrairement à ce qu'on croit du côté de la raison. Voilà que Descartes nommé implicitement inaugurant le règne de la raison et ses règles mais qui, au nom même de la raison, réclamé à des fins autres que la raison n'avait peut-être pas prévues. C'est là le propre d'une révolution. Et le Romantisme en sera une en apportant cette réponse inespérée et inattendue à la question: comment devenir classique tout en ne l'étant pas? L'allusion à la dimension politique de ce mouvement est à peine voilée. Le roi et l'empereur remplacés par l'individu. L'histoire du Romantisme est intimement liée à l'histoire toute courte, celle de l'Europe et du monde. Qui de Chateaubriand ou de Hugo est classique ou romantique? Conjuguant des tendances opposées ne révèlent-ils pas en fin de compte ce que sera l'homme à venir? Epris de liberté ne penchent-ils pas vers un christianisme? Tout comme Mme de Staël, sont-ils de gauche ou de droite politiquement parlant? Comment comprendre la reprise des thèmes médiévaux et typiquement chrétiens avec le goût de la liberté issue de la Révolution qui s'oppose violemment à cet esprit religieux jugé digne de disparaître parce qu'en la personne du roi et ensuite en celle de Napoléon perpétue le Classicisme comme un obstacle au progrès de la raison. Nous aurons compris. C'est vaste, complexe et sans fin. Mais, avouons-le, c'est là aussi tout l'intérêt immense de ce mouvement.
Partons du mot lui-même sans prétendre à démêler les choses sans autre prétention que d'essayer de comprendre. Sa première apparition (le premier exemple connu) nous vient d'un obscure Abbé Niçaise à la fin du 17ème siècle: « Que dites-vous, Messieurs, de ces pastoureaux, ne sont-ils pas bien romantiques?» A ses débuts ce mot se confond avec romanesque employé depuis 1661 et qui désigne clairement une opposition au réel. La racine du mot renvoyant au roman, c'est-à-dire à une fiction. D'usage exceptionnel, le mot ne figure encore pas dans les dictionnaires. Romantique et romanesque sont donc équivalents. L'abbé Le Blanc traduit même en 1745 le mot anglais « romantic » comme pittoresque. Puis viendra la distinction sous la plume de Gérardin en 1776. Romanesque signifie à ses yeux fiction, trame, intrigue (la fable du roman, dit-il) alors que romantique désigne la situation. Celle-ci renvoie bien entendu à l'état dans lequel se trouve l'individu qui lui inspire le romanesque. Mais cet état tout solitaire et tranquille qu'il soit renvoie également selon Rousseau (5e Rêverie) à une extériorité: « Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève (...). » Ainsi, à partir de 1785, les deux termes romanesque et romantique se différencient et en viennent à désigner les aventures et les caractères pour le premier et les paysages et les états d'âmes pour le deuxième. Si André Chénier continue de confondre romantique et pittoresque, Chateaubriand applique le mot anglais « romantic » aux vestiges des civilisations médiévales. C'est en 1798 que le Dictionnaire de l'Académie française mentionne le mot avec la définition suivante: « Il se dit ordinairement des lieux, des paysages qui rappellent à l'imagination les descriptions des poèmes et des romans. Situation romantique. Aspect romantique ». Cette petite promenade nous fournit une assez bonne idée de la formation de ce mot et de sa fortune sur plus de cent ans.
D'ordinaire, on assigne au Romantisme comme initiateurs Chateaubriand et Mme de Staël. Si ces deux noms sont indissociables, il ne faut nullement en conclure que le mouvement lui-même est français. Ses origines sont ailleurs. Le Classicisme est bien français et s'étend en Europe, le Romantisme est anglais, allemand, écossais avant de s'imposer en France. Il est européen. Par conséquent, il importe de comprendre le contexte dans lequel il apparaît. La tourmente révolutionnaire laisse un vide dans la société et les esprits. Sur quels principes construire le nouveau monde? En France, les écrivains se divisent. Les uns comme vicomte de Bonald et Joseph de Maistre veulent passer outre la Révolution et 18ème siècle et joindre le 17ème et 19ème. Deux esprits puissants au verbe acéré et talentueux mais réactionnaires contre ceux qui proposent de chercher dans le 18ème siècle et la Révolution ainsi que dans les littératures étrangères de nouvelles idées, les principes qui guideraient le nouveau siècle et l'avenir. Mme de Staël est de ceux-là. Mais, cette volonté de rebâtir est déjà en marche. Les thèmes qui caractériseront le Romantisme sont déjà esquissés dans la seconde moitié du 18ème siècle. C'est cette période qu'on appellera le préromantisme. Certains historiens de la littérature qui y voient un conflit nord-sud ne se trompent pas. Avec la Renaissance le Classicisme s'était emparé de l'Antiquité gréco-romaine. Le Romantisme sera une influence nordique, anglo-saxon, née d'une réaction au cartésianisme régnant sous la houlette du penseur John Locke. Le scepticisme entre en vigueur. Descartes voulait assurer à la spéculation métaphysique une base inébranlable aboutissant à l'idéalisme et au rationalisme (le cartésianisme). Locke veut préserver la nature humaine des aventures superflue de l'esprit. Ayant déclaré qu'il n'y rien en l'homme qui ne lui provienne des sensations, c'est-à-dire de l'extérieur; il met fin au règne de l'esprit. Les idées innées sont chimères et « le sensualisme » est seul réel. Philosophie qui sera relayée en France par Condillac. De cette pensée découlera tout le système philosophique du 19ème siècle apportant son lot de relativisme et d'utilitarisme. La progression des sciences rejoindra cette mouvance des esprits pour se transformer en un matérialisme mêlé à un culte des sentiments qui sera à l'origine de l'individualisme moderne.Voici donc le réalisme et le sensualisme ensemble comme premier caractéristique du Romantisme. Le deuxième est formé par le couple sentimentalisme et individualisme. Des auteurs anglais comme Richardson, Thompson et Young exerceront une influence durable sur Goethe et Rousseau. Le troisième trait sera le mélange d'imagination, de rêve et de mélancolie. Le besoin de sentir, de voir « par- dessus l'étroite horizon de la vie » donnera le thème de l'évasion. Un monde du passé ainsi qu'un monde surnaturel constitueront les thèmes privilégiés à quoi on associera le Moyen-Age et ses mythes. Des noms célèbres tels que Coleridge, Blake, Byron Shelley, Ossian et bien d'autres s'engouffreront dans cet espace nouveau qui s'ouvre et permet toutes les fantaisies.« De côté de l'Allemagne », l'assaut est non moins important. Un mouvement parallèle voit le jour sous les plumes de Haller, Klopstock, Herder. Vers 1770, sous l'influence de Young et d'Ossian apparaît le mouvement « Sturm und Drang » (orage et assaut). Dirigé contre les règles classiques, c'est une révolution littéraire. « Le Werther » de Goethe (1774) sera le roman de la passion triste. Réunissant fatalité et douleur, le roman et la poésie allemand emboîtera le pas au mouvement anglo-saxon. Cela étant le romantisme allemand suivra un chemin quelque peu différent car Goethe et Schiller reviendront vers des règles classiques pour initier avec Tieck, Novalis et les frères Schlegel ce qu'on appelle le Romantisme allemand qui donnera le fameux idéalisme allemand avec Hegel, Fichte et Schelling.
Qu'en est-il du Romantisme en France? Berceau du rationalisme et du classicisme le mouvement romantique y apparaîtra dans sa vigueur plus tard. Entre les deux manifestations anglais et allemande il se frayera son propre chemin et se forgera un destin qui saura égaler celui bâti par les Classiques.
Tout en s'affirmant comme réaction contre l'ordre ancien politique et littéraire, le Romantisme n'en est pas moins imprégné de rationalisme. De fait, cet héritage jouera en sa faveur en lui fixant des limites. Il restera au moins en partie étranger aux spéculations métaphysiques du Romantisme allemand et se cantonnera essentiellement aux problèmes de littérature et de théâtre. Cet esprit cartésien qui avait contribué au développement du Classicisme l'aidera aussi à s'organiser avec son chef, ses troupes, ses organes de diffusion et ses manifestes pour en faire un véritable mouvement structuré et assurera son triomphe.
Le mouvement manifestera deux pôles aux caractéristiques distinctes mais qui ne suffira pas à porter atteinte à son unité. On trouve d'un côté une mouvance suite à l'influence de Chateaubriand née dans les premières années de la Restauration catholique et conservatrice qui semble avoir partie lié avec le régime. Si les thèmes qui lui sont chers (rêve, mélancolie, imagination, etc...) sont exploités habilement, cette tendance privilégiera le renaissance religieuse et spirituelle. Une deuxième tendance se dessinera sous l'influence étrangère et héritière des idées de la Révolution comme libérale et indépendant et contre le régime impériale. On se souviendra ici de la querelle qui opposa Chateaubriand à Mme de Staël. Pour le premier, les anciens restent un modèle et il y aurait péril à suivre l'étranger. Alors que la deuxième prône franchement une ouverture aux influences étrangères. Malgré une vive critique et une interdiction de la première édition de son livre par Napoléon, « De l'Allemagne » (1813), les idées de Mme de Staël n'en circuleront pas moins sous le manteau et ouvrira une brèche considérable à l'influence étrangère (car quelques exemplaires sont sauvés de la destruction).
Pour finir, il nous faut préciser les trois étapes de ce mouvement. La première est une phase de gestation qui va de 1800 à 1820. Un certain nombre de thèmes nouveaux pénètrent les milieux littéraires et finissent par susciter une sensibilité collective qu'on appellera « le mal du siècle » parallèlement aux idées importées par Mme de Staël. Une deuxième période qui s'étend jusqu'en 1830 voit la querelle entre les Romantiques conservateurs et libéraux. De cette confrontation naît l'unité du mouvement et que le « Cénacle » après plusieurs manifestes retentissants (la bataille d'Hernani et la Préface de Cromwell de Hugo) conduira le mouvement vers la victoire des modernes contre les anciens. On ne manquera pas d'observer qu'autant le Classicisme était formé dans les salons du 18ème siècle et à la Cour autant le Romantisme tournera et s'affirmera à partir des lieux de pouvoirs que sont devenus les groupements d'hommes libres et proclamant l'individu comme centre avec ses propres pouvoirs d'expression. Après 1830, le mouvement se répand et devient à la mode et opère sa cohésion sous l'égide des génies que l'on connaît.
Cependant, la liberté d'expression qui constitue le mot d'ordre entamera l'unité du mouvement. Deux tendances se font jour: le Romantisme social et l'art pour l'art. L'échec des Burgraves en 1843 annonce l'éclosion du Réalisme alors que les plus grands chefs - d'oeuvres se suivent comme pour tendre vers un dépassement dont le Symbolisme à venir sera l'accomplissement.
Comme le Classicisme qu'il combat le Romantisme est une conjonction de talents et de génies les plus diverses, d'où peut-être cette impression d'une confusion dans ce vaste mouvement. Les tendances jusque- là maîtrisées parce qu'obéissant à des règles bien fixées par les anciens éclatent dans tous les sens. Les soirs d'été de Lamartine, la virtuosité et le génie universel d’ Hugo, les fantaisies de Musset, le pessimisme de Vigny, l'imagination étourdissante de Balzac, sont autant d'explosions d'une même ambition, d'une même ardeur de continuer l'histoire et la réécrire. Catholique ou panthéiste, conservatrice ou libérale, cette explosion est celle d'une vie intérieure qui se cherche dans un monde qui est en train de se rebâtir. La passion, la sensibilité exacerbée sont les signes d'un moi débordant loin d'être haïssable. Ecartelé entre le repli et l'ouverture, le moi et l'universel le Romantisme est un coup de tonnerre dans le ciel de l'Europe du 18ème siècle qui marquera d'une pierre blanche notre modernité avec un brin de nostalgie de grandeur. Nous continuerons à coup sûr à admirer les classiques sans jamais cesser d'être romantiques.
AUGUSTE UNAT