BOSSUET POLEMISTE
Bossuet fut amené plusieurs fois, en particulier dans les dernières années de sa vie, à défendre ses idées avec vivacité, contre des adversaires qui ripostaient vigoureusement, et à soutenir ainsi de véritables polémiques. C'est ainsi que, pour défendre l'Histoire des Variations Contre Les Protestants, il écrivit la Défense de l'Histoire des Variations et les Avertissements aux Protestants; c'est ainsi qu'il combattit Richard Simon, Ellies du Pin, les Jansénistes; c'est ainsi qu'il s'engagea dans deux querelles, telles que: la querelle du théâtre et la qurelle du Quiétisme.
Dans toutes ces polémiques, Bossuet apporte de grandes qualités: la clarté des raisonnements, la force des idées, une ironie qui ne ménage rien, et une fougue massive qui assome l'adversaire. Mais il manque de finesse pour pénétrer les réparties, de souplesse pour s'adapter à une situation imprévue, et parfois aussi de mesure dans l'invective.
Reprenant les anathèmes que les Pères de l'Eglise avaient lancées contre le théâtre païen, les moralistes jansénistes du XVIIème siècle, comme Nicole, condamnèrent le théâtre de leur temps, en bloc et sans distinction. Ils firent l'opinion. Sans doute le théâtre continua à être en faveur, mais on savait qu'il était condamné. Aussi en 1694, lorsque le Père Caffaro, théatin, publia, en tête des comédies de Boursault, une dissertation qui était une apologie du théâtre, Bossuet s'émut. Il écrivit aux religieux une lettre mordante et terrible qui l'obligea à désavouer sa dissertation. Bossuet avait gain de cause; mais il crut utile de reprendre les idées de sa lettre au Père Caffaro, de les développer et d'en faire un véritable traité pour le public. Telle fut l'origine de l'opuscule qui a pour titre Maximes et Réflexions sur la Comédie.
Les Maximes et Réflexions sur la Comédie
On peut distinguer dans cette oeuvre, trois idée principales:
1)- Un Raisonnement théorique: Le théâtre, dit Bossuet, veut plaire; on ne plait aux hommes qu'en flattant leurs passions; le théâtre se propose donc de flatter les passions et de nourir la concupiscence; quel chrétien sincère pourrait les supporter?
2)- Une analyse du théâtre de son temps: En fait, dit Bossuet, le théâtre français d'aujourd'hui, celui de Corneille, celui de Quinault, celui de Racine, celui de Molière, ne fait qu'exciter les passions et ne fournit aucun remède pour calmer les émotions qu'il a soulevées. C'est là que Bossuet condamne Molière en termes emportées.
3)- Une étude de la doctrine de l'Eglise sur le théâtre: Il y a, dit Bossuet, une tradition continue de sévérité contre le théâtre depuis les Pères de l'Eglise jusqu'à nos jours, en passant par les théologiens du moyen-âge, y compris saint Thomas, dont on a eu tort de se servir pour justifier le théâtre.
Il faut admirer dans les Maximes et Réflexions la vigueur du style et la finesse de l'analyse psychologique. Mais l'intransigeance de Bossuet est excessive et, quoi qu'il en dise, elle ne représente pas la doctrine constante de l'Eglise. Le théâtre, par exemple le théâtre de Corneille, peut être un instrument du bien; quand il respecte la morale, il est un divertissement légitime. Et d'une manière générale, on peut dire qu'il est moral et immoral comme le spectacle du monde dont il est le reflet. Il entre par là dans les conditions générales de tous les arts, qui sont légitimes dès qu'ils se soumettent aux lois de tout acte humain.
La Querelle du Quiétisme
Le Quiétisme de l'espagnol Molinos fut introduit en France par Mme Guyon, une femme d'une grande distinction qui vint à Paris en 1687, et gagna à ses idées les millieux mondains autour de Mme de Maintenon et Fénelon. Elle enseignait que le véritable amour de Dieu est celui qui fait abstraction des punitions et des récompenses; que la perfection chrétienne consiste dans un acte continuel de contemplation et d'amour de Dieu; que lorsqu'on est dans cet état, il faut garder le repos, négliger toute opération positive de l'âme et ne pas se préoccuper de bonnes oeuvres. C'est le repos divin, quies.
FENELON |
C'est sur cette définition de l'amour de Dieu que la querelle s'engagea. Elle devint très vite personnelle. Deux partis se formèrent; des jalousies et des colères envenimèrent les choses; et les pamphlets échangés entre Meaux et Cambrai manquèrent d'aménité. Le Pape, invité par Louis XIV à intervenir, condamna les Maximes des Saints et Fénelon se soumit.
Malheureusement la discussion n'était pas restée sur le terrain théologique. Fénelon, usant de toute la souplesse de son esprit, entrainé par des amis qui poursuivaient des buts plus mondains, entra dans des distinctions et des subtilités qui auraient pu faire soupçonner sa loyauté. Bossuet, fatigué par des objections impalpables qui renaissaient sans fin, piqué par des mots amers ou par de malignes allusions, sortit lui aussi de son caractère et s'emporta jusqu'à l'injure. Il lança contre Fénelon le pamphlet qui s'appelle La Relation sur le Quiétisme. C'est un admirable livre, plein de verve, d'une ironie mordante, d'une bouffonnerie énorme dans les passages où il tourne en ridicule Mme Guyon et ses extases, d'une éloquence âpre quand il invite Fénelon à s'incliner devant la voix de l'Eglise. Mais la charité y est blessée et dans une phrase injurieuse que l'on regrette que Bossuet ait écrite, Fénelon y est comparé à Montan et Mme Guyon à Priscille.