LES ROMANS BRETONS
Les romans bretons sont empruntés à des légendes gaéliques. Au 12ème siècle, la Grande-Bretagne était à la mode dans la France du Nord qui venait de la conquérir. Des harpeurs, vens du pays de Galles en Normandie et dans l'Ile-de-France, chantaient les traditions de leur race et avaient grand succès. Le fond de ces traditions était la légende d'Arthur: ce chef de clan du 6ème siècle, transformé en roi de la Grande-Bretagne et en héros national, n'était pas mort définitivement, il devait revenir un jour pour délivrer son pays. Ces légendes, recueillies par Gauffrey de Monmouth dans l'Historia regum Britanniae et amplifiées par son imagination, furent traduites en vers par Robert Wace en 1155, sous le titre de Brut.
Les auteurs français, laissant de côté tout ce qui était purement gaélique, prirent de ce fond le personnage d'Arthur dont ils firent le centre de leurs romans. A ce héros ils donnèrent une cour digne de lui, les Chevaliers de la Table Ronde, les douze chevaliers égaux, aussi illustres que les douze pairs de Charlemagne. Arthur et ses pairs deviennent les types du chevalier courtois.
Puis par un procédé de contamination qui a été pratiqué aussi pour l'épopée, on ajoute à ce fond la légende de Joseph d'Aritmathie qui venait de se former autour du corps du saint personnage, rapporté d'Orient par Charlemagne. Joseph d'Aritmathie avait recueilli le sang du Christ dans un vase, appelé le Saint Graal. Cette coupe perdue ne pouvait être retrouvée que par un chevalier parfaitement pur. Les chevaliers de la Table Ronde devaient ainsi se mettre à la "quête du Graal".
CARACTERES GENERAUX DES ROMANS BRETONS
Avec les romans bretons le merveilleux chrétien de l'épopée devient un merveilleux de féerie. Les auteurs français empruntent aus légendes gaéliques et aux légendes celtiques toute une mythologie nouvelle où l'enchanteur Merlin, les fées et les nains, accomplissent des prodiges déconcertants.
Mais ce qui caractérise plus particulièrement les romans bretons, c'est qu'au lieu de donner la première place aux récits des exploits de chevalerie, ils racontent d'abord et analysent l'amour, l'amour courtois. L'amour est conçu comme une passion mystérieuse et irrésistible: on ne sait pas comment il nait et on ne peut pas le vaincre. Il est fait d'une sorte d'adoration religieuse où il entre du respect, de la timidité, de la soumission et un grand besoin de souffrir. Dès que cette passion a pénétré dans l'âme d'un chevalier, elle le rend capable de toutes les vertus et de toutes les vaillances. Au reste, elle n'a aucun rapport avec la morale: le chevalier qui aime ne se demande jamais s'il a le droit d'aimer; l'amour est d'essence supérieure et le met au-dessus de toutes les lois. Il faut noter que cette conception de l'amour évolue rapidement sous l'influence des clercs qui s'inspirent de l'Art d'Aimer d'Ovide. L'amour devient plus frivole et plus capricieux si bien que le mot courtoisie finit par s'appliquer à des gestes très dissemblables.
Le chevalier amoureux, qui a recours dans ses aventures aux enchantements des fées, n'en reste pas moins profondément chrétien. Volontiers, il demanderait à Dieu de le protéger dans son amour et de lui rendre les fées favorables. L'amour courtois et le goût de féerie, c'est comme une livrée qu'il a prise quand il est devenu héros de roman; c'est l'élégance à la mode.
PRINCIPAUX ROMANS BRETONS
Les romans bretons se présentent sous quatre formes principales: Tristan et Yseult qui est une oeuvre antérieure par ses éléments à la formation définitive de la légende arthurienne, mais finira par s'y rattacher; les nouvelles de Marie de France les romans de Chrétien de Troyes, les rédactions en prose de Robert de Boron et de ses successeurs.
►Tristan et Yseult: La légende de Tristan a été racontée par deux poètes anglo-normands, Thomas vers 1170 et Béroul vers 1190. Il n'en reste que de larges fragments. (On avait déjà publié sur le blog un très large résumé de l'oeuvre, vous pouvez consulter l'archive du blog pour lire le résumé).
►Les Nouvelles de Marie de France: Le roman de Tristan et Yseult n'a que des rapports lointains avec la légende arthurienne. Cette légende fut exploitée d'abord au 12ème siècle par Marie de France dans de courtes compositions en vers, appelées lais. Ce sont de véritables nouvelles qui traitent chacune un épisode limité de la vaste légende. Les plus célèbres sont Le Chèvrefeuille, Le Rossignol, Les Deux Amants, Yonec et Eliduc. Marie de France est une véritable artiste: les sentiments de ses personnages ont quelque chose de spontané et de frais, et si sa langue est molle et trainante, elle trouve facilement le mot naïvement gracieux.
►Les Romans de Chrétien de Troyes: Chrétien de Troyes a écrit entre 1160 et 1175. C'est un véritable auteur qui traite largement sa matière et l'agrémente de toutes sortes d'inventions. Il était très cultivé; il avait débuté par une adaptation de l'Art d'aimer et des Métamorphoses d'Ovide et il avait été affiné par le contact de la cour de Marie de Champagne fille d'Aliénor d'Aquitaine. Sa psychologie n'est pas sans mérite: mais il abuse des analyses d'âme, des discussions de sentiments. L'amour chez lui n'est plus une passion naïve: il donne dans la galanterie subtile et compliquée comme un habitué de l'Hôtel de Rambouillet. Ses romans les plus célèbres sont; Erec et Enéide, Cligès, Le chevalier à la Charette où le célèbre Lancelot du Lac tient le premier rôle, Perceval où le chevalier de ce nom arrive à découvrir le Saint Graal, et le Chevalier au Lion.
►Les romans en prose: Au siècle suivant, parut le Lancelot en prose qui est une sorte de compilation des légendes arthuriennes. La conquête du Graal y est attribuée non plus à Perceval, mais à Galaad, fils de Lancelot du Lac. Puis Robert de Boron écrivit en prose un Joseph d'Aritmathie et un Merlin, faisant ainsi entrer définitivement dans la légende d'Arthur la légende de Joseph d'Aritmathie et toute la mythologie romanesque exploitée et amplifiée par Chrétien de Troyes. Les romans bretons eurent un grand succès dans toute l'Europe et, quand ils furent oubliés chez nous, ils nous revinrent de l'étranger au 16ème siècle sous la forme des Amadis et ils retrouvèrent toute leur vogue.