EPOPEE
Victor Hugo a défini l'épopée: "l'histoire écoutée aux portes de la légende". L'épopée s'empare de faits historiques qui ont particulièrement frappé l'imagination des foules; elle les agrandit, les transfigure en y ajoutant des éléments merveilleux; elle donne aux hommes qui en sont les héros une stature et des sentiments surhumains; elle incline la divinité vers ces faits et vers ces hommes et mêle son action à l'histoire devenue légende.
Dans la jeunesse des peuples, quand l'auteur et le public croient aux légendes épiques, on peut avoir des épopées dites primitives; telle est l'Iliade, tel est le Roland. Plus tard quand la foi a disparu, un artiste peut construire à force d'art une épopée factice qui reproduit la physionomie de l'épopée primitve; on a alors l'épopée savante; telle est l'Enéide, telle est la Franciade.
ORIGINE DE L'EPOPEE
L'épopée française du Moyen-Age aurait été, d'origine germanique. Ce sont les germains qui auraient eu les premiers l'habitude de célébrer dans des chants guerriers les exploits de leurs chefs. Cette coutume aurait pénétré en Gaule avec les invasions et y aurait provoqué des compositions lyrico-épiques, appelées cantilènes, destinées à commémorer les hauts faits des guerriers mérovingiens. Au Xème siècle des arangeurs auraient réuni ensemble plusieurs de ces cantilènes en les adaptant et auraient ainsi constiuté l'épopée.
Les travaux de Joseph Bédier ont ébranlé cette théorie. On trouve peu de traces de ces prétendues cantilènes et il n'est aucunement besoin d'avoir recours à l'Allemagne pour expliquer la genèse de nos chansons épiques. Elles sont nées spontanément sur notre sol dans le sein de l'église, soit pour amplifier les légendes conservées dans les lieux de pèlerinage, soit pour célébrer les hauts faits d'une famille aristocratique, soit pour raconter sous le voile de la fiction des événements contemporains.
C'est vers le XIIème siècle et surtout au XIIIème siècle et au XIVème siècle quand l'épopée est lue au lieu d'être chantée que les jongleurs s'efforcèrent de classer les épopées. Ce travail souvent factice tend à distribuer les épopées autour de trois personnages qui sont comme des centres épiques: Charlemagne, Guillaume d'Orange, Doon de Mayence. Ainsi, se constituent trois gestes ou histoires:
►La geste du roi qui raconte les guerres de Charlemagne, sa vie, la vie de ses pairs et leurs exploits;
►La geste de Garin de Montglane qui raconte les exploits de Garin, d'Aymeri de Narbonne, de Guillaume d'Orange et d'une manière générale, la lutte du Midi contre les Sarrasins.
►La geste de Doon de Mayence qui raconte les luttes des féodaux entre eux.
A ces gestes il faut ajouter des gestes provinciales qui ne peuvent pas entrer dans le cadre primitif et la geste des Coisades qui comprend les poèmes provoqués par la Croisade.
Les épopées principales sont les suivantes►
1)- Geste du roi
Berte au grand pied (XIIIème siècle) oeuvre du trouvère Adenet, raconte la vie et les malheurs de la mère de Charlemagne.
Pèlerinage de Charlemagne à Jérusalem (XIIème siècle), récit fabuleux d'un prétendu voyage en Terre Sainte de Charlemagne et de ses pairs; c'est de ce pèlerinage que Charlemagne aurait rapporté des reliques qu'il distribua aux principaux sanctuaires de France.
Huon de Bordeaux (XIIème siècle) récit fantastique des épreuves de Huon qui doit aller à Babylon couper la barbe de l'émir et est aidé dans son entreprise par le nain Obéron.
La chanson de Roland c'est la plus belle de nos épopées.
2)- Geste de Garin Montglane
Girard de Vian (XIIème siècle), oeuvre de Bertrand de Barsure-Aube, raconte les démêlés de Girard et de Charlemagne. C'est dans ce poème que se trouve le combat singulier d'Olivier et de Roland, repris par Victor Hugo.
Aimeri de Narbonne (XIIème siècle) raconte comment Charlemagne à son retour d'Espagne charge Aimeri de s'emparer de Narbonne et lui donne la ville comme un fief.
Le Charroi de Nimes (XIIème siècle) prise de la ville de Nimes par Guillaume d'Orange.
Aliscans (XIIème siècle), récit de la célébre bataille que Guillaume livre aux Sarrasins dans la plaine d'Aliscans. Il perd dans la bataille son neveu Vivien. Il fuit vers Orange, mais sa femme Gibourg refuse de la reconnaitre parce qu'il tourne le dos à l'ennemi et de lui ouvrir les portes de la ville, il se jette de nouveau dans la mêlée.
3)- Geste de Doon de Mayence
Renaud de Montauban (XIIème siècle) raconte la lutte de Renaud et de ses trois frères contre Charlemagne. Ils sont aidés dans cette guerre par le cheval Bayart qui les emporte tous les quatre à travers les airs. Cette épopée est la source du roman populaire, les quatre fils Aymon.
4)- Gestes Provinciales
Raoul de Cambrai (XIIème siècle), tableau coloré de l'atrocité des luttes féodales
Amis et Amiles (XIIème siècle), légende pieuse
Girard de Roussillon (XIIème siècle)
5)- Geste de la croisade
Chanson de Jérusalem (XIIème siècle)
Chanson d'Antioche (XIIIème siècle)
Les plus anciennes épopées qui nous sont connues par des fragments ou par des remaniements postérieurs sont du Xème siècle. Elles ont d'abord un caractère nettement religieux. Puis tout en conservant ce caractère au XIème siècle et au XIIème siècle elle devient surtout guerrier. C'est le moment de leur grand éclat. Elles s'imposent à l'admiration de toute l'Europe et sont traduites ou adaptées dans toutes les langues. La décadence commence au XIIIème siècle: on ne croit plus aux légendes des héros; on les raille, on les parodie. Aussi, il n'y a plus de nouvelle épopée. On se contente de remanier et de rajeunir les anicennes. La rime succède à l'assonnance et oblige les remanieurs à délayer le texte primitif. L'épopée est pénétrée par le roman qui y verse la superstitition puérile, la sensualité parfois très libre, et même la satire. L'épopée perd son existence propre et se confond avec le roman. Au XIVème et XVème siècles elle est dérimée et mise en prose. Elle a tout perdu de sa physionomie primitive: elle ne servira plus qu'à alimenter les recueils fades de la Bibliothèque Bleue.