LE ROMAN DE RENART
Au Moyen-Âge, les chansons de geste et les romans courtois reflétaient la sensibilité d’une société aristocratique. Avec la littérature satirique, c’est l’esprit populaire qui s’exprime. Sa naissance correspond à l’essor des villes marchands et au développement de la bourgeoisie. Cette littérature satirique est représentée par deux productions principales: le Roman de Renart et les Fabliaux. Il s’agit de récits en vers, destinés à faire rire, même si certains contiennent aussi une critique de la société. La littérature satirique a touché un très vaste public.
En plein Moyen-Âge, dans la seconde moitié du XIIe siècle, un clerc, nommé “Pierre de Saint-Cloud” écrit un grand poème qui raconte la rivalité entre un goupil appelé Renart et un loup appelé Ysengrin. Tout de suite c’est le succès, bien qu’il n’y ait pas encore de livres (l’imprimerie sera inventée trois siècles plus tard). Ce sont des trouvères et des jongleurs qui en récitent les épisodes dans les villes, les campagnes et les châteaux.
Pierre de Saint-Cloud n’a pas inventé son sujet; il puise dans de très nombreuses fables et autres contes d’animaux d’origine latine ou germanique qui circulent au Moyen-Âge. Mais il donne à ses histoires un accent si personnel et convaincant qu’il lance une mode et est aussitôt imité par d’autres auteurs. Quinze grands récits nouveaux apparaissent en 30 ans; on les appelle des “branches”, probablement parce qu’il se sont ajoutés au tronc initial formé par l’oeuvre de Pierre de Saint-Cloud. Mais ces branches sont assez différentes les unes des autres selon les auteurs. Alors, au début du XIIIe siècle, on a l’idée de rassembler les meilleurs épisodes en une histoire cohérente. Comme elle est écrite en “roman”, cela devient le Roman de Renart. Il se compose en tout de 25 branches écrites en octosyllabes (vers de huit pieds) et l’ensemble fait plus de 100.000 vers.
Le Roman de Renart est une sorte d’épopée familière où la société des hommes est remplacée par celle des animaux. Les bêtes parlent, portent des vêtements, montent à cheval, forment des familles et constituent autour du roi, le lion Noble, une société organisée, calquée sur la société féodale. Les auteurs du Roman peuvent ainsi indirectement se moquer des institutions du temps et de l’autorité des puissants dont ils soulignent les abus. Faire de l’ours un prêtre qui chante la messe, c’est parodier la religion, ses rites et les superstitions qu’elle peut provoquer. Montrer le jugement injuste du roi Noble qui prend tout le butin au cours d’un faux partage, c’est critiquer le pouvoir abusif du suzerain. Le petit peuple du XIIe et du XIIIe siècle s’amuse et prend sa revanche lorsque Renart, par sa ruse, triomphe des puissants. Les aventures du goupil n’ont donc pas seulement pour but de distraire; elles présentent un tableau, parfois une caricature, de la société du Moyen-Âge, et à travers les animaux ce sont les hommes qui sont visés.
Les principaux héros de cette époque comique restent les mêmes tout au long des 25 histoires. Les uns ont des noms d’origine germanique; ce sont le goupil, surnommé Renart, le loup Ysengrin, l’ours Bruno, l’âne Bernard, le blaireau Grimbert, le chat Tibert, le corbeau Tiécelin, le moineau Drouïn. D’autres portent des noms français et symboliques, tirés du caractère ou de l’aspect physique de ces animaux: Noble le lion, Fière ou Orgueilleuse la lionne, Chanteclerc le coq, Couart le lièvre, Bruiant le taureau, Belin le mouton, Pelé le rat, Tardif le limaçon.
On peut distinguer quatre grandes familles►
1. La famille du lion:
Noble, le roi empereur
Dame Fière ou Orgueilleuse, la reine
Le prince lionceau
2. La famille du loup:
Ysengrin, commendant de l’armée royale du roi
Primaut, son frère
Dame Hersent, sa femme
Pinçart, son fils
3. La famille du goupil:
Renart, seigneur de Maupertuis
Richeut, sa femme, appelée aussi du nom plus noble de dame Hermeline
Leurs trois enfants.
4. La famille du coq:
Chanteclerc, maitre du “gélinier”(c’est le poulailler, les poules sont des gélines)
Pinte, sa compagne préférée
Copée (ou Copette), Roussette, Blanche, Noirette, soeurs de Pinte.
LE RÉSUMÉ
L’histoire commence à la naissance de Renart et d’Ysengrin. Après avoir été chassés du paradis terrestre, Adam et Eve ont reçu de Dieu une baguette, au moyen de laquelle ils peuvent, en frappant la mer, obtenir ce qu’ils désirent. Adam fait sortir des flots des animaux utiles, et Eve des animaux nuisibles; c’est ainsi qu’Ysengrin et Renart lui doivent la vie. Bientôt, Renart devient le principal héros de l’histoire.
Renart s’en prend d’abord à des animaux plus faibles que lui, mais il est dupé par chacun d’eux. Tiécelin, le corbeau, laisse bien tomber son fromage dans la gueule de Renart mais il échappe au goupil qui voulait le manger; Tibert, le chat, fait tomber Renart dans un piège où celui-ci comptait le prendre. L’esprit du roman est bien la revanche des petits sur les puissants, et bientôt, à son tour, Renart va triompher de plus puissant que lui (le loup, l’ours et le lion).
Dans sa lutte contre Ysengrin, Renart sort toujours vainqueur. Un épisode raconte par exemple comment le loup flaire l’odeur de poissons que renart fait cuire. Renart le persuade que pour pêcher d’aussi beaux poissons il n’a qu’à s’attacher un seau à la queue et la plonger dans l’eau du lac. Or, on est en hiver, l’eau gèle et Ysengrin reste prisonnier de la glace. Il n’échappe que de justesse aux chasseurs venus le tuer.
Un jour, poursuivi par ses ennemis, Renart tombe dans une cuve de peinture jaune. Devenu méconnaissable, il se fait jongleur. Sa femme, dame Hermeline, le croyant mort, veut se remarier avec Grimbert, le blaireau. Mais Renart survient au millieu de la noce et punit celle qui voulait l’oublier trop vite.
Renart accumule les mauvais tours. Les autres animaux le mettent en accusation devant Noble, le roi. Renart se présente humblement devant le roi, il avoue ses fautes et demande, pour les expier, de pouvoir faire un pèlerinage en terre sainte. Ainsi, il échappe une fois de plus à ses adversaires.
La chanson de Roland mise à part, les chansons de geste n’ont guère survécu au public pour lequel elles avaient été écrites. Au contraire, le Roman de Renart n’a jamais été oublié. Il a été traduit en de nombreuses langues et on en retrouve des traces jusque chez La Fontaine au XVIIe siècle. De nos jours encore, les remarques faites sur les défauts des hommes à travers le comportement des animaux (orgueil, ambition, jalousie, injustice) sont choses courantes. Le succès vient aussi du comique des situations où la bêtise est toujours punie. Le roman exalte la ruse sous toutes ses formes et le rire ne va pas parfois sans méchanceté ni cruauté pour les victimes qui y laissent parfois leur vie.
Saviez-vous qu’autrefois le renard, ce petit animal à poils bruns, intelligent et voleur s’appelait un goupil? “Renart” est le nom propre du goupil du Roman de Renart. Très vite ce livre est tellement connu en France et à l’étranger que les gens se sont mis à appeler le goupil “Renart”. Et, petit à petit, le mot goupil a disparu du français. On a utilisé à la place le mot renard (avec un “d” à la fin).
Ce qui rend célèbre et spéciale cette oeuvre c’est que le Roman de Renart a pour but de se moquer des hommes. Il les montre comme ils sont vraiment: méchants, bêtes, voleurs, peureux et vaniteux. Le livre montre aussi tout ce que la vie avait de mauvais au Moyen-Âge. Le Roman de Renart se moque aussi des autres livres de ce temps-là, où les gens sont toujours forts, courageux, gentils et honnêtes. En lisant l’oeuvre on découvre la vie à la campagne, en France, au Moyen-Âge. On apprend comment y vivent les animaux et les hommes.
Tout au long de l’histoire, on lit une parodie de la société féodale et des moeurs aristocratiques. Le roman de Renart, nous parle des audaces de pensée et de langage, de la liberté d’esprit de l’époque à l’égard de la religion, de la morale, de l’amour, de la guerre...
LES PERSONNAGES
- RENART
Il eut un tel succès populaire que son nom deviendra nom commun, remplaçant, dans la langue parlée, celui de “goupil” qui tombera, peu à peu, en désuétude.
Messire Renart vit à Maupertuis. Marié à Hermeline la goupille, il a au départ deux fils nommés “Percehaie” et “Malbranche”. Plus tard, viendra un troisième fils nommé “Renardel”.
Il ne faut pas nier que Renart dénonce la faim, la violence, la bêtise mais ne propose rien, ce n’est pas son affaire. Il représente le petit peuple, toujours prêt à mille “jongleries” pour survivre.
- YSENGRIN
“Le roman de Renart est la lutte du goupil (Renart) contre le loup (Ysengrin), c’est-à-dire de la ruse contre la force. À cette lutte prennent part tous les animaux, individualisés dans des noms et des caractères qui demeurent jusqu’à la fin de l’oeuvre.
- AUTRES PERSONNAGES
Personnages principaux
Noble, le lion
Fière, la lionne
Beaucent, le sanglier
Belin (ou Bellyn), le bélier
Baudoin (ou Bokart), l’âne: secrétaire du roi-lion
Brun (ou Bruno ou Bruin), l’ours (d’après la couleur de sa robe)
Chanteclair, le coq
Couard, le lièvre
Eme, le singe: époux de Dame Rukenawe, la guenon
Hersent, la louve: épouse d’Ysengrin qui est “violée” par Renart
Grimbert, le blaireau (le taisson): cousin et défenseur de Renart; c’est aussi son seul ami
Grymbart, la renarde: soeur de Renart
Ermelyne (ou Dame Hermeline), la brebis: épouse de Bellyn. Elle a deux soeurs: Dame Atrote et Dame Weasel.
Dame Rukenawe, la guenon: épouse d’Eme, le singe et tante de Renart.
Elle aura deux gars: Bytelouse et Fulerompe que Renard s’empressera de croquer.
Tibert, le chat
Tiecelin, le corbeau
Personnages secondaires
Blanche, l’hermine (parfois confondue avec Hermeline)
Brichemer, le cerf: le sénéchal
Bernard, l’âne
Corbant, le freux et son épouse, Dame Sharpebek
Coupée, la géline
Courtois (ou Courtoys), petit chien
Drouïn, le moineau
Hubert, l’escoufle (milan)
Firapel, le léopard
Jacquet, l’écureuil
Dame Mésange, le mésange
Musart, le chameau: légat du Pape
Ordegale, femme castor
Pantecroet, la loutre
Roonel, le mâtin (gros chien)
Tardif, le limaçon
Vader de lantfert: fils de Dame Pogge de Chafporteet de Macob
Rohart, le corbeau
LES TEXTES
Le Roman de Renart n’est pas un roman à proprement parler, mais un ensemble disparate de récits en octosyllabes de diverses longueurs, appelés dès le Moyen-Âge “BRANCHES”. La branche la plus ancienne est attribuée à Pierre de Saint-Cloud, érudit, qui fit paraitre dans la première moitié du XIIe siècle “Les enfaces Renart”(L’enfance de Renard – Branche II). Dès le XIIIe siècle les branches sont regroupées en recueils, apportant une certaine unité.
Richard de Lison est le second auteur clairement identifié.
Selon l’érudit Lucien Foule, la composition de l’oeuvre s’échelonne de 1174 à 1250. Vingt-huit auteurs indépendants y ont collaboré, dont seulement deux ont tenu à nous transmettre leur nom. Ces écrivains ont réalisé une oeuvre maitresse, et à succès.
Rutebeuf a écrit un "Renart le bestourné", et Jacquemart Gelée de Lille, un "Renart Le Nouvel". Le Couronnement de Renart (anonyme) date de la seconde moitié du XIIIe siècle. Au XIVe siècle, on réécrit deux fois Renart le Contrefait; la première est l’oeuvre d’un commerçant en épices; la seconde, véritable somme ne compte pas moins de 40.000 vers (produits entre 1319 et 1342).
En 2004, quatre fabliaux renardins ont encore été produits.
Donc neuf siècles après sa naissance, Renart le malin vit toujours, tout au moins dans les livres.
LES BRANCHES
Branche I :
Si conme Renart manja le poisson aus charretiers, (Comment Renard mangea le poisson des charretiers), jugement de Renart, Siège de Malpertuis. Renart Teinturier.
Branche II:
Les enfaces Renart, (L’enfance de Renard) de Pierre de Saint-Cloud.
Branche III:
Si conme Renart fist Ysengrin moine, (Comment Renard fit Ysengrin Moine).
Branches IV-VI:
Le Puits. Chanteclerc. La Mésange. Tibert. Les deux prêtres, les Béliers, la femme du vilain.
Branches VII-IX:
Renart et le Corbeau. Le viol d’Hersent. L’éconduit (l’escondit). Le duel de Renart et d’Ysengrin. Le pèlerinage de Renart.
Branches X-XI:
Liétard. Renart et la mort de Brun. Les Vêpres de Tibert.
Branches XII-XVII:
Les poissons dérobés. Moniage d’Ysengrin et la pêche au seau. Le labourage en commun et la collaboration de Renart à l’oeuvre du Roi Connin. La confession de Renart. Ysengrin et le prêtre Martin. Ysengrin et la Jument. Le Bacon enlevé.
Branches XVIII-XIX:
La mort de Renart. Le partage du lion. Renart médecin.
Branche XX:
Renart empereur.
Branche XXIV:
La naissance de Renart (seconde version).