Le plasticien japonais Takashi Murakami s'invite cet automne à Versailles, malgré quelques protestations. Contrairement aux apparences, l'artiste qui s'inspire et détourne l'univers manga, n'est pas l'héritier du Pop Art. Ses fleurs et ses monstres gentils sont d'autant plus souriants qu'ils sont critiques de la société actuelle
Une exposition exceptionnelle va s'ouvrir le 14 septembre et ce jusqu'au 12 décembre prochain au château de Versailles. L'artiste japonais Takashi Murakami (AFP) y exposera une vingtaine d'œuvres dont neuf créations dans les grands appartements, la galerie des glaces et les jardins de l'ancienne demeure de Louis XIV.
Un artiste qui dérange …
Le plasticien né dans les années 1960, se réjouit de pouvoir confronter ses œuvres inspirées de la culture manga au classicisme versaillais. D'autant plus que ce genre d'exposition ne serait pas possible au Japon : "la famille impériale ne veut pas de confrontation avec la modernité. Ce n’est pas un a priori négatif, c’est un principe ! Et d’ailleurs, la droite extrême serait furieuse, donc il ne faut pas y compter" Pourtant, même en France, l'arrivée de l'art contemporain dans l'un des plus importants monuments de l'histoire française ne fait pas l'unanimité. Plusieurs pétitions ont été lancées et une manifestation aura lieu le 14 septembre pour empêcher cette exposition. Jean-Jacques Aillagon, président de l'établissement public du Château de Versailles, estime que ces protestations "émanent de cercles d'extrême-droite intégristes et de cercles très conservateurs". L'ancien ministre de la Culture assure que les œuvres ont été choisies avec le plus grand soin pour ne pas choquer le plus jeune public.
… qui confronte …
Takashi Murakami est peut-être connu pour ses fleurs et ses ballons aux couleurs criardes et ses petits monstres kawaii (mignons) –Mr DOB, Kakai, Kiki …- mais l'artiste n'utilise les codes manga que pour mieux choquer. Sa sculpture My Lonesome cowboy – vendue en 2008 13.5 millions de dollars par Sotheby's – représente ainsi un jeune homme aux cheveux hirsutes se masturbant et utilisant un jet de sperme comme lasso. Versailles ne présentera pas l'œuvre, préférant se passer de ce genre de publicité, deux ans après avoir déjà fait polémique avec une exposition Jeff Koons. La venue de Takashi Murakami dans le château du Roi soleil a peut-être de quoi étonner mais pour cet amoureux des bandes dessinées japonaises, c'est presque une évidence, le manga La rose de Versailles avait déjà travaillé son imaginaire fertile. "Tout comme les Français peuvent avoir du mal à recréer dans leur esprit une image exacte de l’époque des Samouraïs, l’histoire de ce palais s’est étiolée pour nous dans la réalité.", explique l'artiste à l'éternel bouc et chignon. Murakami avertit les futurs spectateurs : "Je suis le chat du Cheshire qui accueille Alice au pays des merveilles avec son sourire diabolique, et bavarde pendant qu’elle se balade autour du Château.".
… qui critique et qui se vend !
Le fils d'un chauffeur de taxi et d'une femme au foyer amatrice d'art est un des artistes contemporains les plus connus au monde. Pape du mouvement Superflat, neo-pop japonais inspiré par le manga, ses œuvres (sculptures, tableaux, animations) se veulent très critiques des codes de la société contemporaine japonaise. Murakami repeint ainsi d'une couleur layette des reproductions de parties génitales pour se moquer de l'immaturité nippone. Son Lonesome Cowboy n'est qu'une représentation symbolique de la génération otaku : ces jeunes qui s'isolent dans un monde imaginaire pour ne pas affronter la réalité. "J'exprime le désespoir", affirme-t-il. Le manga, issu de la pauvreté japonaise, est son arme de choix mais passé maître dans l'art Nihonga (peinture japonaise du 19e-20e siècle), Murakami détourne également les œuvres des grandes figures de l'art nippon. Si l'ultraconsumérisme japonais est pour lui une source inépuisable d'inspiration, il en use aussi pour construire son empire. Les produits dérivés ciglés Murakami sont légion et son entreprise Kakai Kiki Corporation emploie une centaine de personnes. La marque de luxe Louis Vuitton l'avait même choisi pour apporter son style si particulier à sa collection 2004. Le plasticien superstar contribue également au renouveau de la scène artistique japonaise en endossant le costume de commissaire d'exposition et en sponsorisant de nouveaux artistes comme Chiho Aoshima.
Si la présence de Takashi Murakami à Versailles peut choquer certains, elle n'a rien d'étonnante. Après tout, comme le souligne Jean-Jacques Aillagon "le château de Versailles est un monstre international. Takashi Murakami l'est également" et tous deux sont "des machines à inventer et à diffuser des images".
Extrait de http://www.lepetitjournal.com/
rédigé par Damien Bouhours
vendredi 10 septembre 2010