SOPHOCLE (496-406 AV. J.-C.)
Sophocle est l'un des trois grands poètes tragiques grecs, avec Eschyle et Euripide. Il est né en à Colone -aujourd'hui partie d'Athènes-. Il reçoit la meilleure éducation possible, traditionnelle et aristocratique. A l’age de 16 ans, il est choisi pour diriger le chœur de jeunes gens qui célèbre la victoire navale de Salamine. Dix années plus tard, il gagne un concours dramatique où il détrône Eschyle, dont la supériorité n'avait pas été menacée depuis longtemps. En 441 av. J.-C., il est à son tour vaincu dans l'un des concours dramatiques d'Athènes, par Euripide. À partir de 468 av. J.-C., cependant, Sophocle remporte le premier prix une vingtaine de fois et plusieurs fois le deuxième prix. Sa vie, qui s'achève à l'âge de quatre-vingt-dix ans, coïncide avec l'âge d'or d'Athènes. Sophocle compte parmi ses amis l'historien Hérodote, et fréquente Périclès, l'homme d'État. Il ne s'implique pas dans la politique et n'a pas d'inclination pour les activités militaires, mais les Athéniens l'élisent par deux fois à de hautes fonctions militaires. De son immense production littéraire seules sept tragédies complètes nous sont parvenues: les Trachiniennes, Antigone, Ajax, Œdipe roi, Électre, Philoctète et Œdipe à Colone.
La tragédie sophocléenne expose une action où fatalité et volonté constituent les deux ressorts principaux, de sens contraire et où toute l'intensité dramatique repose sur la volonté inébranlable du protagoniste. Celui-ci, enfermé dans une situation où seule la souplesse permettrait la survie, mène un double combat en s'opposant à l'autorité (incarnée par le roi, les chefs ou les dieux), mais également aux instances de ses proches : ainsi Antigone s'expose à la mort et la subit pour accorder les rites funéraires à son frère Polynice tué sur le champ de bataille, défiant ainsi l'autorité de Créon, maître de Thèbes, et n'écoutant pas les conseils de sa sœur Ismène. Œdipe, héros mythique, découvre progressivement l'horrible vérité: il est devenu roi de Thèbes après avoir, à son insu, tué son père et épousé sa mère, Jocaste.
À la suite d'Eschyle, considéré comme le créateur de la tragédie, Sophocle innove et mène la tragédie à son apogée: en abandonnant la trilogie eschylienne, il resserre l'intrigue, enrichit l'action et précipite l'évolution du tragique; l'ajout d'un troisième acteur permet une peinture plus nuancée des caractères: affrontés deux à deux, les personnages se définissent les uns par rapport aux autres, s'opposent par les valeurs qu'ils défendent; la dimension psychologique s'amplifie, le débat prend le pas sur le lyrique. Sans la fatalité (les dieux ont toujours raison), le théâtre de Sophocle exalte la volonté de l'homme.
Il existe deux sortes de personnages, chez Sophocle, qui refusent de céder. Les uns sont des obstinés, qui ont tort. Les autres sont des héros; et ils sont désignés à notre admiration, précisément parce que rien ne les brise. Seul les distingue des premiers la cause qu’ils entendent servir. Seul les distingue le fait que ceux-ci ont la force et veulent la faire respecter, alors qu’eux n’ont rien, sont écrasés, abandonnés, mais conservant un idéal qui justifie leur sacrifice. (Jacqueline de Romilly, La Tragédie grecque, © PUF, 1970)