Le Capitaine Dreyfus |
La division nationale;
À partir de 1898, l’affaire Dreyfus (1859-1935) divise la France. Dans la rue, dans les cafés, les français s’affrontent, qui convaincu de l’innocence du Capitaine Dreyfus, qui certain de sa culpabilité, qui désireux que la République ne s’effondre pas à cause des agitateurs de toutes sortes, quelle que soit la vérité sur cette vague affaire d’espionage. L’affaire de Panama n’est pas bien loin: on aurait pu se passer d’une nouvelle querelle nationale. Et cette querelle marque une première: l’intervention des écrivains sur la scène proprement politique.
La machination;
Les faits: en septembre 1894, Alfred Dreyfus est accusé d’avoir livré des documents confidentiels à un correspondant allemand. L’enquête, menée à la va-vite, aboutit à la condamnation et à la dégradation de Dreyfus. Trois ans plus tard, le colonel Picquart, alors chef du Services des Renseignements, en arrive à soupçonner un autre officier, le commandant comte Walsin-Esterhazy, d’être le véritable espion : l’écriture de celui-ci et celle des documents passés à l’ennemi sont vraiment trop proches... Le frère d’Alfred Dreyfus, malgré l’aide du colonel, ne parvient pas à faire réviser le procès. C’est alors que l’écrivain Emile Zola entre en scène. Lui qui participe rarement à la vie politique, décide d’intervenir. Dans l’Aurore du jeudi 13 janvier 1898, il publie un brûlot intitulé J’accuse ! pour dénoncer la machination. Résultat : Zola est condamné à un an de prison et à 3000 francs d’amende. A son procès, spectaculaire, on produit une pièce démontrant la culpabilité du « juif ». celle-ci est un faux, et quelque temps plus tard, découvert, son auteur, le colonel Henry, se suicide.
Emile Zola |
Zola s’exile à Londres. Picquart est arrêté, ainsi qu’Esterhazy. Cavaignac, le ministre de la Guerre, démissionne. La Cour de cassation accepte quand même de réviser le procès. Zola, de retour, réaffirme son désir de vérité dans un article intitulé Justice. Mais, dans la rue et dans la presse, on se déchaîne. On est dreyfusard, ou antidreyfusard. D’un côté des intellectuels, des antimilitaristes, des hommes de gauche ; de l’autre : des officiers, des ecclésiastiques, des monarchistes, des antisémites. Mais, d’un côté comme de l’autre, on n’a aucune preuve de ce que l’on avance. La presse est sans doute pour quelque chose dans le déchaînement de l’opininon. Dans cette grande pièce d’affrontement, certains écrivains jouent des rôles peu glorieux. Edouard Drumont, vigoureux pamphlétaire, fait de l’Affaire une croisade : sa dénonciation de la « finance israélite » n’obtient qu’un demi-succès. Quant à Charles Maurras, il tire de l’Affaire les principes de base de son mouvement néomonarchiste l’Action Française. Et Maurice Barrès d’entonner un Appel au soldat où il se fait le défenseur inspiré du patriotisme. L’Académie (Bourget et Heredia) s’associe à des écrivains comme Coppée, Lorrain, Jules Verne, pour appuyer l’action des antidreyfusards. Mais le gauche qui a vingt ans vers la fin du siècle - Charles Peguy, Albert Mathiez, Maroi Roquez,...- voit dans les conséquences de l’Affaire l’avenement d’un possible socialisme. Anatole France prend la défense de Zola dont il vante les mérites et le courage. Roger Martin Du Gard évoquera plus tard dans la deuxième partie de Jean Barois le « cri sauvage de triomphe » qui accueille la nouvelle de la révision du procès dans les milieux dreyfusards.
La justice est faite ;
L’appel de Zola a fait l’effet d’une bombe. Les dreyfusards forment la Ligue des droits de l’homme et du citoyen, les antidreyfusards répondent avec la Liguıe de la Partie Française. On ne compte plus les duels, les émeutes, les procès...
Mais, à son second procès, Dreyfus est à nouveau condamnné... pour être aussitôt gracié, puis enfin réhabilité en 1906.
L’Affaire est arrivée au moment où les grandes tendances idéologiques cherchaient à s’affirmer. Si elle a permis à la droite de compter des forces, elle renforce aussi le glissement de la politique intérieure française vers la gauche.
Zola met en accusation dans le journal l’Aurore les responsables de la condamnation de Dreyfus.
« ... J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis...
J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la Guerre, l’arche sainte, inattaquable.
...J’accuse les bureaux de la Guerre d’avoir mené dans la presse, particulièrement dans l’Eclair et dans l’Echo de Paris, une campagne abominable, pour égarer l’opinion et couvrir leur faute...
...En portant ces accusations, je n’ignore pas que je me mets sous le coup des articles 30 et 31 de la loi sur la presse du 29 juillet 1881 qui punit les délits de diffamation. Et c’est volontairement que je m’expose.
Quant aux gens que j’accuse, je ne les connais point, je ne les ai jamais vus ; je n’ai contre eux ni rancune ni haine. Ils ne sont pour moi que des entités, des esprits de malfaisance sociale. Et l’acte que j’accomplis ici n’est qu’un moyen révolutionnaire pour hâter l’explosion de la vérité et de la justice. Je n’ai qu’une passion, celle de la lumière, au nom de l’humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur. Ma protestation enflammée n’est que le cri de mon âme. Qu’on ose donc me traduire en cour d’assises et que l’enquête ait lieu au grand jour. »
Emile Zola, « J’accuse »,
article paru dans « l’Aurore »,
du 13 janvier 1898