ESSAI SUR MARCEL PROUST & ANDRE GIDE
S'il n'est guère possible de comparer deux écrivains aux visées et aux styles différents, il est néanmoins heureux et courageux de procéder à de telles tentatives pour mieux faire ressortir les particularités de chacun avec prudence et modestie. C'est le mérite d'un article fort intéressant récemment paru sur ce blog. Je voudrais à mon tour apporter mon grain de sel et vous dire en quelques lignes les caractéristiques de chacun de ces géants de la littérature mondiale en soulignant davantage leurs différences.
Nous avons à faire à deux esprits entièrement impliqués dans leur époque. Ils sont mondains et mènent une vie faite de relations multiples. Gide restera dans le monde tout en le contestant, Proust s'en retirera. Le premier s'y engage, voyage, opte pour telle ou telle idée et puis s'en détache. Le deuxième par sa maladie qui l'indispose se voit obligé d'adopter une stricte hygiène de vie et rompt avec le monde. Gide est dans son temps mais l'explore en espace. Proust abandonne l'espace et part en quête du temps. L'un cherche, trouve et abandonne, l'autre cherche, trouve et se fixe définitivement. Le temps est nostalgie, passé et évocation pour Proust. «Gide ne cesse de se diviser contre lui-même» (Mauriac), Proust divisera le temps. Celui-ci pensait contre Saint-Simon et Taine que l'homme qui écrit est radicalement autre que celui des activités sociales. En effet, derrière un homme mondain et snob se cache un écrivain de génie. La contradiction, le déchirement sont des moteurs pour Gide. Telle une dialectique implacable, il construit et détruit tour à tour. Quand on commence à s'intéresser aux «Nourritures Terrestres», les avis convergent: c'est l'avidité et le goût des choses terrestres. C'est le contraire. Gide prône non une apologie des désirs mais leur dénuement, ou plus exactement leur abandon. «Que l'importance soit dans ton regard, non dans les choses regardées», écrit-il. L'oubli de l'objet au profit du désir retourne le mouvement contre lui-même sans l'annuler; reste l'homme dans sa duplicité. Le dépassement, le seul possible est l'amour, indépendant de la chose et de tout être. «Dieu n'habite pas l'objet, mais l'amour», affirme Gide. Si le passage du particulier à l'universel s'accomplit chez Gide par ce refus de toute extériorité, chez Proust, ce passage se fait par le rehaussement d'un milieu (celui du début du 20ème siècle parisien, des salons du faubourg Saint-Germain) à l'universel. Jeanne d'Ormesson écrit que Gide est «un janséniste saisi par le désir». Cette contradiction entre un puritain et immoraliste est parfaitement applicable à Proust, mais différemment. Proust serait le chroniqueur du temps et de l'amour. L'amour et le temps qui passent et qui demandent (nous demandons) le contraire. Nous y voilà! Comment réconcilier le désir d'absolu avec l'éphémère? Cette impossibilité est le point commun de nos deux auteurs. Pris en flagrant délit d'impuissance, l'homme ne peut que se déchirer ou se réfugier dans ce qui est une fois pour toute figée. Et cela donne cette littérature, ces romans de Gide au classicisme parfait et cette cathédrale de fleurs et de vitraux de la « Recherche ». Leur quête, bien que différente se rejoignent en une seule: la nôtre.
AUGUSTE UNAT