LE CHEVALIER AU BARISEL
Un riche seigneur possédait tous les biens que l'on peut souhaiter, mais sa prestance, sa force, sa puissance et sa renommée n'avaient d'égales que sa félonie, son orgueil, son impiété et sa cruauté. Maltraitant voyageurs et religieux, il n'avait cure ni des jeûnes ni des sermons. Bref, "tous les péchés qu'on peut commettre, en actes, dits et pensées, ils les avait tous rassemblés dans sa vie". Un jour de Vendredi Saint, alors que ledit seigneur commandait à ses cuisiniers du gibier, ses chevaliers s'indignent de cette offense, et l'entraînent, à force de supplications, chez un ermite.
Arrivés à l'ermitage, les chevaliers se confessent, et l'ermite parvient à faire entrer le seigneur dans sa chapelle, puis, plein de bonne volonté le contraint, non sans mal à se confesser, malgré ses regards furieux et ses protestations. Après avoir écouté la longue et horrible confession, l'ermite est attristé par l'attitude du pécheur qui, loin de se repentir de tant d'exactions, demande, courroucé, qu'on le laisse en paix. Le religieux l'incite à choisir une pénitence parmi une longue liste qu'il lui propose, mais en vain. Le chevalier accepte finalement d'aller remplir au ruisseau un barillet que lui tend l'ermite, et promet de ne point avoir de repos avant l'accomplissement de la pénitence qui "sera vite faite". Sorti de la chapelle, il ne parvient pas à faire pénétrer une goutte dans le barillet après l'avoir plongé plusieurs fois dans l'eau.
En jurant, il poursuit sa route, fidèle à la promesse que son orgueil le pousse à tenir, et, à chaque point d'eau qu'il rencontre, il tente en vain de remplir le petit baril. Durant ce long voyage qui lui fait traverser la France, "pauvreté sera sa compagne". Déchaux à force de marche, sans un sou, "par le froid, par le chaud", insulté et humilié sur son passage, et réduit à mendier. Un an plus tard, il revient, hâve et défait auprès de l'ermite qui ne le reconnaît point tout d'abord, et à qui il compte ses mésaventures. L'ermite se met à pleurer de l'orgueil et de la colère du chevalier que son voyage n'a pas fait plus repentant. Voyant son confesseur se désoler et implorer Dieu pour le salut du pécheur, au détriment du sien s'il le faut, le chevalier, confondu de cette "merveille", se rend compte de la gravité de ses méfaits, et demande à Dieu de lui accorder assez de repentance pour réconforter le saint ermite qui "aime tant son âme". Dieu l'exauce, et lui donne l'humilité. Signe de son repentir, une larme tombe qui remplit le barillet, au grand bonheur de l'ermite qui y voit la marque du pardon divin.
Avant de mourir, le chevalier rempli de joie, demande à se confesser, communie, et rend son âme, que des anges viennent recevoir et emporter. Arrivent les compagnons d'arme du chevalier, qui, tout d'abord troublés, sont réconfortés en apprenant l'heureuse fin de leur seigneur. Ils répandirent la nouvelle, et tout le pays "rendit grâce à Notre-Seigneur".