LE THEATRE AMUSANT
Le théâtre amusant passionna le public autant que les mystères. Comme il lui arrivait souvent de prendre des sujets dans la vie quotidienne, il se renouvelait avec les moeurs et il avait l'intérêt des allusions devinées. L'opinion publique était née, elle trouvait dans les pièces comiques une occasion de se manifester; les théâtre jouait ainsi le rôle du journal. Cependant le XIVème siècle ne nous a laissé que de pauvres fragments comiques; au contraire la comédie a un plein succès au XVème siècle. On peut distinguer, dans les pièces comiques de la période qui va de 1400 à 1550, des moralités, des soties et des farces.
LA MORALITE
La moralité est une pièce comique à sujet fictif et à intention édifiante. Nous avons environ soixante moralités du XVème siècle. Elles attaquent et tournent en ridicule les vices de l'humanité, en les mettant en scène par le moyen de l'allégorie. C'est un genre assez froid et nous comprenons mal aujourd'hui la passion du public du XVème siècle pour ces spectacles où les personnages sont des abstractions qui marchent et parlent.
Les moralités les plus célèbres sont "Bien Avisé et Mal Avisé" de Simon Bougoin "la Condamnation de Banquet" de Nicolas de la Chesnaye et "de l'Aveugle et du boiteux" d'Audrey de la Vigne.
Simon Bougoin, dans deux tableaux savamment opposés compare la vie de l'honnête chrétien à celle de l'impie. Le chrétien est assez heureux et l'impie assez morfondu pour que le choix s'impose au spectateur. Nicolas de la Chesnaye a mis en mouvement les maladies que Banquet précipite contre les gourmands. Ceux qui n'en meurent pas se plaignent; Banquet est jugé, condamné et étranglé par Diète.
LA SOTIE
La sotie, à l'origine, est le nom que prend la farce quand elle est jouée par les Sots, confrérie joyeuse d'acteurs. Peu à peu la sotie désigna une pièce satirique d'actualité à sujet politique. Le plus célèbre auteur de soties est Pierre Gringoire, né à Paris en 1475, mort à Nancy en 1539. Gringoire connaissait la poésie du moyen-âge et il s'en inspira largement, dans des oeuvres allégoriques et morales peu intéressantes. Mais quand la confiance de Louis XII l'eut investi d'une sorte de fonction publique, il profita de sa dignité de Mère sote, qui lui permettait de tout dire pour donner libre cours à sa verve. Au mardi gras de 1512, dans "la Sotie du Prince des Sots", il attaqua violemmment Jules II, l'adversaire de Louis XII, s'efforçant de rendre populaire la guerre de la France contre le Pape.
LA FARCE
La farce est une pièce facétieuse qui a pour but unique de faire rire, de provoquer "le ris dissolu", comme dit Thomas Sibilet. La farce tient du fableau par les sujets et par les grossièretés; parfois même, elle n'est qu'un fableau dialogué et mis à la scène. Il nous reste environ cent cinquante farces du XVème et du XVIème siècle. La plus célèbre est "Pathelin", chef d'oeuvre d'un auteur inconnu, composé entre 1461 et 1469.
LA FARCE DU MAITRE PATHELIN
Pathelin est un avocat sans causes, en butte aux criailleries de sa femme Guillemette qui lui reproche de ne pas gagner de quoi acheter du beau drap. Il se rend chez Guillaume le drapier et à force de compliments mielleux, il arrive à lui soustraire une pièce de drap qu'il emporte. Il invite Guillaume à venir chez lui recevoir le prix de son drap et manger une bonne oie rôtie.
Une comédie a été machinée par Guillemette et Pathelin. Quand Guillaume arrive, Guillemette fait l'étonnée: Pathelin est malade, il n'est pas sorti de la journée; Guillaume a du se méprendre. Pathelin dans son lit divague de fièvre dans tous les dialectes du monde. Guillaume s'enfuit.
Cependant le berger de Guillaume, Agnelet a un procès avec son maitre qui l'accuse de tuer ses moutons. Il demande à Pathelin de le défendre. Pathélin lui conseille de répondre: bée! à toutes les questions du juge; on pourra ainsi le faire passer pour un irresponsable.
Au tribunal, Guillaume a commencé à exposer sa cause, quand il reconnait Pathelin dans l'avocat d'Agnelet. Il se trouble, mêle l'histoire du drap et celle des moutons si bien que le juge le croit fou. Il interroge Agnelet qui répond toujours: bée! bée! Agnelet est acquitté.
Pathelin réclame à Agnelet ses honoraires. Le berger lui répond: bée! bée!. Et le malheureux avocat ne peut pas tirer autre chose de son client. Ainsi le trompeur est trompé.
La farce de Pathelin est une oeuvre très remarquable. La composition en est nette et sûre; le sujet est bien circonscrit, les scènes bien liées, les incidents découlent naturellement les uns des autres. Les caractères sont tracés avec vigueur. La langue est saine, pittoresque sans recherche, toujours en bonne humeur. Aussi cette farce ou sous sa forme primitive, ou arrangée au XVIIIème siècle par Brueys et Palabrat, ou adaptée de nos jours par Edouard Fournier, a-t-elle constamment rencontré un très franc succès. Elle force à rire; et en riant on oublie que les personnages sont malhonnêtes et que ce ricochet de fourberies est assez immoral.
A la farce on peut rattacher les monologues comiques, sortes de boniments de charlatan et les sermons joyeux, parodie souvent grossière de la prédication chrétienne. Un des monologues les plus amusants est le "Franc Archer de Bagnolet" attribué à Villon. Le franc archer fait le matamore mais il est couard: il tombe pitieusement à genoux devant un mannequin de gendarme qui sert d'épouvantail et il lui demande grâce.
Les pièces comiques, de même que les mystères sont représentées d'abord par des acteurs occasionnels. Puis, s'établissent des Confréries Joyeuses qui se donnent pour mission de jouer des farces et des soties. Les plus célèbres confréries parisiennes de cet ordre sont Les Enfants sans souci et les Clercs de la Basoche. Les premiers sont peut-être les anciens figurants de la fête des Fous chassés de l'église. Mais ils prennent vite de l'autorité, se recrutent parmi les étudiants et dans la bourgeoisie et s'organisent hiérarchiquement; ils ont des dignitaires, le prince des Sots et Mère sote qui a le droit de tout dire et en profite. Les clercs de la Basoche sont les employés des juges, greffiers, notaires et homme de loi qui s'organisent en confrérie et qui donnent des représentations dans la grand'salle du Palais.
La farce a vécu plus longtemps que les mystères. La Renaissance ne la supprime pas; elle emprunte même des sujets et des effets à son répertoire. Elle lui interdit, semble-t-il, l'accès des théâtres littéraires et la relègue sur les tréteaux du Pont-Neuf. Molière ira l'y retrouver et lui donnera avec un nouveau lustre la dignité classique.