EXTRAITS DES OEUVRES DE "PASCAL"
Les Provinciales - "L'ironie au service de la vérité"
Ses adversaires lui ayant reproché de se moquer des choses saintes, Pascal leur répond que l'ironie est une arme légitime lorsqu'elle sert à discréditer l'erreur; il profite de l'occasion pour redoubler ses attaques contre les "opinions extravagantes" des causistes. On admirera sa dialectique aussi brillante que serrée.
Quoi! mes Pères, les imaginations de vos écrivains passeront pour les vérités de la foi, et on ne pourra se moquer des passages d'Escobar et des décisions si fantasques et si peu chrétiennes de vos autres auteurs, sans qu'on soit accusé de rire de la religion? Est-il possible que vous ayez osé redire si souvent une chose si raisonnable? Et ne craignez-vous point, en me blâmant de m'être moqué de vos égarements, de me donner un nouveau sujet de me moquer de ce reproche, et de le faire retomber sur vous-mêmes, en montrant que je n'ai pris sujet de rire que de ce qu'il y a de ridicule dans vos livres; et qu'ainsi, en me moquant de votre morale, j'ai été aussi éloigné de me moquer des choses saintes, que la doctrine de vos causistes est éloigné de la doctrine sainte de l'Evangile?
En vérité, mes Pères il y a bien de la différence entre rire de la religion et rire de ceux qui la profanent par leurs opinions extravagantes. Ce serait une impiété de manquer de respect pour les vérités que l'esprit de Dieu a révélées; mais ce serait une autre impiété de manquer de mépris pour les faussetés que l'esprit de l'homme leur oppose.
Car, mes Pères, puisque vous m'obligez d'entrer en ce discours, je vous prie de considérer que comme les vérités chrétiennes sont dignes d'amour et de respect les erreurs qui leur sont contraires sont dignes de mépris et de haine parce qu'il y a deux choses dans la vérité de notre religion, une beauté divine qui leur rend aimable, et une sainte majesté qui les rend vénérable, et qu'il y a aussi deux choses dans les erreurs, l'impiété qui les rend horribles, et l'impertinence qui les rend ridicules. Et c'est pourquoi, comme les saints ont toujours pour la vérité ces deux sentiments d'amour et de crainte et que leur sagesse est toute comprise entre la crainte qui en est le principe, et l'amour qui en est la fin, les saints ont aussi pour l'erreur ces deux sentiments de haine et de mépris, et leur zèle s'emploi également à repousser avec force la malice des impies et à confondre avec risée leur égarement et leur folie.
XIème Provinciale
Les Pensées - Grandeur de Jésus-Christ: Les Trois "Ordres"
Certains s'étonnent de la bassesse de Jésus-Christ: un Dieu fait homme ne devrait-il pas surpasser tous les hommes? Pascal va montrer que la grandeur de Jésus est d'un autre ordre que les "grandeurs charnelles ou spirituelles" et supérieure à celles-ci. L'exposé, en cette matière délicate, est d'une netteté et d'une logique parfaites. Mais quand il proclame la vraie grandeur de Jésus-Christ, l'âme de Pascal vibre si intensément que chez lui la logique perd sa froideur pour se résoudre en élans de charité. C'est déjà le lyrisme mystique que nous découvrirons dans le "Mystère de Jésus".
La distance infinie des corps aux esprits figure, la distance infiniment plus infini des esprits à la charité car elle est surnaturelle. Tout l'éclat des grandeurs n'a point de lustre pour les gens qui sont dans les recherches de l'esprit.
La grandeur des gens d'esprit est invisible aux rois, aux riches, aux capitaines, à tous ces grands de chair.
La grandeur de la sagesse, qui n'est nulle sinon de Dieu, est invisible aux charnels et aux gens d'esprit. Ce sont trois ordres différents de genre.
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire, leur lustre et non nul besoin des grandeurs charnelles où elles n'ont pas de rapport. Ils ont vu non des yeux, mais des esprits, c'est assez.
Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre, et non nul besoin des grandeurs charnelles spirituelles ou elles n'ont nul rapport car ils n'y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges, et non des corps ni des esprits curieux: Dieu leur suffit.
Archimède, sans éclat, serait en même vénération. Il n'a pas donné des batailles pour les yeux, mais il a fourni à tous les esprits ses inventions. Oh! qu' il a éclaté aux esprits!
Jésus-Christ sans biens et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n'a point donner d'invention, il n'a point régné; mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. Oh! qu'il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du coeur et qui voient la sagesse.
Il eut était inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie quoiqu'il le fût.
Il eut été inutile à Notre Seigneur Jésus-Christ pour éclater dans son règne de sainteté de venir en roi; mais il y est bien venu avec l'éclat de son ordre!
Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de Jésus-Christ comme si cette bassesse était du même ordre duquel est la grandeur qu'il venait faire paraitre. Qu'on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l'éléction des siens, dans leur abandon, dans sa secrète réssurection et dans le reste on le verra si grand qu'on n'aura pas sujet de se scandaliser d'une bassesse qu'il n'y est pas.
Mais il y en a qui ne peuvent admirer que les grandeurs charnelles comme s'il n'y avait pas des spirituelles; et d'autres qui n'admirent que les spirituelles, comme s'il n'y en avait pas d'infiniment plus hautes dans la sagesse.
Tous les corps, le firmement, les étoiles, la terre et ses royaumes ne valent pas le moindre des esprits; car il connait tout cela, et soi; et les corps rien.
Tous les corps ensemble et tous les esprits ensemble et toutes leurs productions ne valent le moindre mouvement de charité. Cela est d'un ordre infiniment plus élevé.
De tous les corps ensemble on ne saurait en faire réussir une petite pensée: cela est impossible, et d'un autre ordre. De tous les corps et esprits on n'en saurait tirer un mouvement de vraie charité, cela est impossible, et d'un autre ordre, surnaturel.