EXTRAITS "DES MEMOIRES"
DE SAINT-SIMON
La tragi-comédie de la cour
Un homme est mort. Est-il quelqu'un pour le pleurer sincèrement? Non, d'après Saint-Simon, car cet homme est Monseigneur, le Grand Dauphin, fils de Louis XIV et la mort de l'héritier du trône est un événement politique. L'entourage du prince pleure... ses ambitions déçues: la coterie de son fils, le duc de Bourgogne, dont fait partie Saint-Simon, cache à grand'peine une joie indecente; les autres courtisans restent parfaitement indifférents. Quelle pénétration dans le coup d'oeil! Quelle vision saisissante de la cour et de l'humanité! Mais nous somes gênés par l'égoïsme féroce de l'auteur et par sa tendance à juger les autres d'après lui-même en leur réfusant à priori tout sentiment désintéressé. Et nous ne pouvons nous empêcher de songer au spectacle divertissant qu'il dut donner lui-même un an plus tard, lorsque la mort du duc de Bourgogne vint ruiner ses propres espérances.
Tous les assistants étaient des personnages vraiment expressifs; il ne fallait qu'avoir des yeux sans aucune connaissance de la cour, pour distinguer les intérêts peints sur les visages, ou le néant de ceux qui n'étaient de rien: ceux-ci tranquilles à eux-mêmes, les autres pénétrés de douleur ou de gravité et d'attention sur eux-mêmes, pour cacher leur élargissement et leur joie....
Les premières pièces offraient les mugissements contenus des valets désespérés de la perte d'un maitre si fait exprès pour eux, et pour les consoler d'une autre qu'ils ne prévoyaient qu'avec transissement, et qui par celle-ci devenait la leur propre. Parmi eux s'en remarquaient d'autres des plus éveillés de gens principaux de la cour, qui étaient accourus aux nouvelles, et qui montraient bien à leur air de quelle boutique ils étaient balayeurs.
Plus avant commençait la foule des courtisans de toute espèce. Le plus grand nombre, c'est-à-dire les sots, tiraient des soupirs de leur talons, et, avec des yeux égarés et secs, louaient Monseigneur, mais toujours de la même louange, c'est-à-dire de bonté, et plaignaient le roi de la perte d'un si bon fils. Les plus fins d'entre eux, ou les plus considérables s'inquiétaient déjà de la santé du roi. Ils se savaient bon gré de conserver tant de jugement parmi ce trouble, et n'en laissent pas douter par la fréquence de leurs répétitions. D'autres, vraiment affligés, et de cabale frappée, pleuraient amèrement, ou se contenaient avec un effort aussi aisé à remarquer que les sanglots. Les plus forts de ceux-là, ou les plus politiques, les yeux fichés à terre, et reclus en des coins, méditaient profondément aux suites d'un événement si peu attendu, et bien davantage sur eux-mêmes. Parmi ces diverses sortes d'affligés, point ou peu de propos; de conversation, nulle; quelque exclamation parfois échappée à la douleur et parfois répondue par une douleur voisine, un mot en un quart d'heure, des yeux sombres ou hagards, des mouvements de mains moins rare qu'involontaires, immobilité du reste presque entière; les simples curieux et peu soucieux presque nuls, hors les sots qui avaient le caquet en partage, les questions, et le redoublement du désespoir des affligés, et l'importunité pour les autres. Ceux qui déjà regardaient cet événement comme favorable avaient beau pousser la gravité jusqu'au maintien chagrin et austère, le tout n'était qu'un voile clair, qui n'empêchait pas de bons yeux de remarquer et de distinguer tous leurs traits. Ceux ci se tenaient aussi tenaces en place que les plus touchés, en garde contre l'opinion, contre la curiosité, contre leur satisfaction, contre leurs mouvement;s mais leurs yeux suppléaient au peu d'agitation de leur corps. Des changements de posture, comme des gens peu assis ou mal debout; un certain soin de s'éviter les uns les autres, même de se rencontrer des yeux; les accidents momentanés qui arrivaient de ces rencontres; un je ne sais quoi de plus libre en toute la personne, à travers le soin de se tenir et de se composer; un vif, une sorte d'étincelant autour d'eux les distinguait malgré qu'ils en eussent.
Monsieur et son confesseur
Voici une excellente scène de comédie. Saint-Simon sans rien perdre de sa verve habituelle, ne se montre ici ni injurieux ni haineux dans ces commérages. Aussi le passage est-il franchement gai: la lecture ne laisse aucun arrière-goût d'amertume. Cette conversion de Philippe d'Orléans, frère de Louis XIV, précéda de peu sa mort.
Il avait depuis quelque temps un confesseur, qui, bien que jésuite, le tenait de plus court qu'il pouvait. Il lui représentait fort souvent qu'il ne se voulait pas damner pour lui, et que si sa conduite lui paraissait trop dure il n'aurait nul déplaisir de lui voir prendre un autre confesseur. A cela il ajoutait qu'il prit bien garde à lui, qu'il était vieux, usé de débauche, gras, court de cou, et que, selon toute apparence, il mourrait d'apoplexie, et bientôt. C'étaient là d'épouvantables paroles pour un prince le plus volupteux et le plus attaché à la vie qu'on eut vu de longtemps, qu'il avait toujours passée dans la plus molle oisiveté, et qui était le plus incapable par nature d'aucune application, d'aucune lecture sérieuse, ni de rentrer en lui-même. Il craignait le diable, il se souvenait que son précédent confesseur n'avait pas voulu mourir dans cet emploi et qu'avant sa mort il lui avait tenu les mêmes discours, L'impression qu'ils lui firent le força de rentrer un peu en lui-même et de vivre d'une manière qui depuis quelque temps pouvait passer pour serrer à son égard. Il faisait à reprises beaucoup de prières, obéissait à son confesseur, lui rendait compte de la conduite qu'il lui avait prescrite sur son jeu, sur ses autres dépenses, et sur bien d'autres choses, souffrait avec patience sur ses fréquents entretiens, et y réfléchissait beaucoup. Il en devint triste, abattu, et par là moins qu'à l'ordinaire, c'est-à-dire encore comme trois ou quatre femmes, en sorte que tout le monde s'aperçut bientôt de ce grand changement.
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