MAURICE SCEVE (1500-1562)
Le rayonnement de l'humanisme en France ne va pas de pair avec une prééminence absolue de Paris, telle que la connaitra la vie littéraire du XIXème siècle. La cour elle-même déserte souvent la capitale pour prendre ses quartiers dans les châteaux au bord de la Loire. En province, de nombreux cercles humanistes jouent un rôle actif et Lyon au carrefour des axes du Rhône et de la Saône, plus proche de l'Italie que Paris, jouit d'une situation privilégiée. Il s'y développe autour de l'imprimeur Etienne Dolet une poésie néo-latine qui montre qu'au début du XVIème siècle même dans les millieux humanistes, le latin connait encore des heures de gloire. Cette école lyonnaise, soucieuse de raffinement, mêle à la culture antique la délicatesse courtoise et le lyrisme d'un Pétrarque, pour les opposer à ce qu'elle appelle la barbarie des temps modernes. C'est dans ce climat érudit et raffiné que grandit Maurice Scève, né sur les bords du Rhône vers l'an 1500, qui deviendra le premier grand poète de l'humanisme triomphant.
En 1533, il se fait connaitre pour avoir découvert -ou cru découvrir- le tombeau de Laure, l'amante de Pétrarque, dans une chapelle proche d'Avignon. Bien vite, il acquiert une notoriété de poète mais jamais -et c'est une chose remarquable à l'époque où la situation des poètes est encore précaire- il ne compose pour flatter les grands, travers auquel même un Ronsard n'a pas toujours su échapper. Comme nos poètes modernes, Maurice Scève a toujours fait de sa poésie l'expression privilégiée de sa vie et de ses sentiments, sans opportunisme ou concession mondaine; c'est de là que viennent ses accents de vérité qui nous touchent encore.
"Délie, objet de plus haulte vertu"
C'est sur le titre "Délie, objet de plus haulte vertu" que Maurice Scève publie en 1544 son oeuvre majeure. Selon la formule italienne du canzoniere, elle est consacrée à une femme unique, comme la Laure de Pétrarque. Matériellement, le poème est composé de 449 dizains en décasyllabes avec le schéma de rimes ABABBCCDCD. En 1544, le dizain est une forme déjà couramment utilisée par Marot. Chaque dizain constitue un ensemble qui peut se suffire à lui-même.
On retrouve dans Delie certains clichés de la lyrique amoureuse (l'amant transperce par le regard de la femme, tenu en servitude par la toute-puissance de la dame). Comme dans le Roman de la Rose les sentiments sont personnifiés et s'affrontent en allégories. Mais ce qui nous rend cette poésie encore proche c'est par-delà les conventions d'une époque, l'écho d'un amour vrai, vécu dans un cadre réel, celui du paysage lyonnais. Il ne s'agit pourtant pas d'une sorte de journal amoureux qui décrirait les étapes successives d'une passion. Dans une forme concise et tendue qui n'admet pas le bavardage de l'école marotique, Scève, à travers l'intensité d'une expérience personnelle, cherche dans ses chants l'essence de l'amour, dégagée des circonstances fortuites et qui seule peut surmonter la mort et assurer le salut aux amoureux. On retrouvera chez Ronsard ce souci de vaincre la mort par la poésie. Cette recherche de la pureté, de ce qu'il y a de plus essentiel, donne aux poèmes de Maurice Scève un caractère difficile que certains ont rapproché du style d'un Mallarmé au XIXème siècle.
Microcosme
Dans sa dernière oeuvre, en trois volumes et 3003 vers, Scève utilise -c'est un signe des temps- l'alexandrin mis en honneur par la Pléiade. Comme souvent pendant la Renaissance, il s'y manifeste l'ambition de dresser une somme du savoir humain et d'exalter le génie de l'homme, créature de Dieu, mais destiné à posséder le monde. Microcosme est l'épopée d'un homme -Adam- qui résume à lui seul toute l'histoire de l'humanité en marche vers la lumière et la réconciliation avec le Créateur. Mais ce credo humaniste résonne de façon tragiquement anachronique en 1562 alors que se déchainent déjà les guerres de religion.