LIRE ET ECRIRE AU 17ème & AU 18ème SIECLES
Des femmes de la noblesse ou de la riche bourgeoisie reçoivent chez elles, chaque semaine à jour fixe, des savants, des artistes, des auteurs. Ces salons sont des lieux de conversation: on y parle des dernières nouvelles de la Cour, de la mode, parfois de politique, les auteurs lisent leurs oeuvres et en attendent des critiques. A partir du 18ème siècle, on y déguste du café et du chocolat.
Les maitresses de maison ont un rôle éminnement important, elles doivent avoir des qualités d'organisation et d'animation. Ces salons sont essentiellement parisiens, mais il en existe en province. Certains sont très célèbres, celui de la marquise de Rambouillet, par exemple, est un des lieux les plus importants au 17ème siècle.
Les salons sont des lieux éminnement pédagogiques et ils le sont doublement, parce que, en s'y formant, les femmes y forment les hommes, ces matérialistes, ces passéistes qui les jugent suffisamment instruites quand elles savent distinguer le lit de leur mari d'un autre, comme dit crûment une féministe du temps. Ce n'est pas un hasard si les premiers salons dignes de ce nom apparaissent en France au début du 17ème siècle: c'est parce qu'il y était plus nécessaire qu'ailleurs de réagir contre un tel état d'esprit.
Aux préceptes moraux, les multiples ouvrages didactiques qui tracent le portrait de l'honnête homme mêlent les recettes de l'art de plaire, d'écrire, de converser, que développent par ailleurs les si nombreux traités de civilité qui paraissent en cette période et pendant tout le siècle. Les salons resteront toujours imprégnés de cet idéal de politesse mondaine, et Voltaire, homme de lettres s'il en fut jamais, dira lui-même: "Il faut être homme du monde avant d'être homme de lettres".
De cette internationale des salons qui se constitue dans l'Europe des Lumières favorisant ainsi la circulation des idées, la France est l'épicentre, jouant alors un aussi grand rôle que celui qu'elle avait joué un siècle plus tôt en fixant le modèle des salons. (...) Les salons deviennent des caisses de résonnance pour les auteurs, pour les artistes et pour les oeuvres. Les hôtesses, elles-mêmes plus libres d'y développer leur esprit et leurs connaissances, se doivent, pour faire concurrence aux cafés et aux clubs ces nouveaux lieux de réunion et d'échanges, d'y accueillir une compagnie plus mêlée, plus "intellectuelle". Diderot règne chez Mme d'Epinay, Buffon chez Mme Necker tandis que Voltaire est l'idole du salon de Mme de Châtelet, avant de l'être de celui de Mme du Deffand. Les encyclopédistes constituent de brillantes, mais bouillantes, recrues, et les maitresses de maison n'ont pas trop de tout leur savoir-faire pour les contenir dans les règles de la bienséance mondaine.
Claude Dulong, "Les Salons", Histoire des femmes en Occident,
16ème-17ème siècles, t.3, sous la direction de Georges Duby et Michelle Perrot, Plon, 1991
Le lecteur et son livre
Au 18ème siècle, les livres sont faits à la main. Chaque feuille de papier est fabriquée isolément conformément à un processus compliqué et diffère des autres feuilles qui composent le même volume. Chaque lettre, chaque mot, chaque ligne sont composés selon un art qui donne à l'artisan la possibilité d'exprimer son individualité. Chaque livre est particulier, chaque exemplaire possède son caractère propre. Le lecteur de l'Ancien Régime en prend grand soin et fait attention au support matériel de la littérature autant qu'à son message. Il palpe le papier pour en évaluer le poids, le degré de transparence, l'élasticité (il existe tout un vocabulaire pour décrire les qualités esthétiques du papier qui représente au moins la moitié du coût de fabrication d'un livre avant le 19ème siècle). Il étudie le dessin du caractère, les espacements, vérifie le registre, examine la mise en page et l'égalité de l'impression. Il goûte un livre comme nous pourrions goûter un verre de vin, car il examine les caractères sur le papier, non seulement pour le sens qu'ils portent mais en eux-mêmes. Une fois qu'il s'est pleinement imprégné de l'aspect physique d'un livre, il en entreprend la lecture.
Histoire de l'édition française, sous la direction de Roger Chartier et Henri-Jean Martin, Promodis, 1982