LE THEATRE ET LES MYTHES
Le mythe (du grec muthos, "parole, récit") est un récit sacré connu de tous qui révèle une vérité et explique à l'homme son origine et sa place dans l'univers. Dans la Grèce ancienne, la connaissance mythique s'oppose à la connaissance rationnelle (logos, en grec). A l'origine le théâtre est lié à la représentation de mythes sacrés qui engagent l'ordre cosmique: c'est par exemple le cas du théâtre grec, voué à Dionysos. Source de réflexion et d'émotion tragique, le mythe trouve un model d'expression naturel dans le rituel théâtral. Le théâtre et le mythe ont en commun un récit resserré et objectif, nécessaire, qui permet de souder la communauté.
SOPHOCLE |
Le 20ème siècle redécouvre cette dimension, sacrée du théâtre et cherche à revenir vers les sources du mythe, ses rituels, ses masques, ses danses. L'esthétique d'Antonin Artaud (Le Théâtre et son double, 1938) est à la recherche de la force vivante et magique du mythe. Aujourd'hui la critique d'une société moderne en perte de substance, de mémoire et d'acte passe par un retour à la tragédie antique dont témoignent les pièces de Dider-Georges Gabily (Violences, 1991) ou de Philippe Minyana (Philoctète, 1997). En exploitant la violence du récit mythique, le théâtre contemporain cherche à se définir comme le lieu privilégié pour penser la modernité, déterrer les cadavres de l'histoire et représenter le corps dans son épaisseur vivante et humaine.
La littérature théâtrale entretien des relations de complicité, d'imitation et de dépassement avec le mythe. Celui-ci se présente comme une sorte de matière première incertaine, en raison de ses nombreuses versions parfois contradictoires, de ses personnages peu caractérisés et de son abesence de réalisme. A la prolifération d'histoires et de scènes fortes et contrastées qui s'additionnent succède la nécessité d'un resserrement tragique et d'une structure poétique plus caractéristique de l'oeuvre littéraire. Les auteurs s'approprient le récit brut, bref, intense et simple du mythe pour exprimer une version métaphorique ou symbolique du monde en confrontant l'être humain à ce qui le dépasse. Dans la littérature cette nudité du mythe qui va droit au fait est atténuée par des détours, des masques, par le recours à la vraisemblence, à la logique, par des conventions comme la bienséance. La violence caractérise moins l'accumulation des événements que l'ordre du discours.
Dans son souci d'actualiser le mythe, la littérature prend des libertés avec le récit mythique en délaissant certains mythèmes traditionnels (l'initiation, l'exploit héroïque, la transgression, la descente aux enfers...) ou en ajoutant des épisodes inédits comme les intrigues amoureuses inventées par Racine dans Phèdre ou Andromaque. Des figures mythologique comme Ariane, Phèdre ou Médée, femmes séduites et abandonnées, ont donné lieu à de nombreuses transpositions théâtrales au cours des siècles.
PROMETHEE |
A partir du 19ème siècle, Prométhée, dont le mythe se conjugue avec celui de Faust et de Don Juan, apparait comme une figure positive de la révolte contre le ciel. L'Antigone de Sophocle qui défend les droits sacrés du clan et du sang contre les lois de la cité, est différente de l'Antigone d'Anouilh, qui cherche à préserver sa pureté. De dérivation en dérivation, le mythe finit par engendrer une création nouvelle, littéraire, un nouveau mythe. Les mythes grecs donnent naissance à une littérature qui les développe, les actualise et les intègre à un dialogue fécond et conflictuel.
Les mythes grecs exercent une fascination sur les auteurs des années 1930 et 1940. En témoignant La Machine infernale (1934), de Jean Cocteau, La guerre de Troie n'aura pas lieu (1934) et Electre (1937) de Jean Giraudoux, Les Mouches (1943), de Jean-Paul Sartre, Antigone (1944), de Jean Anouilh.
ANTIGONE |
Les mythes mettent aussi en scène la résistance de l'homme aux différentes forment d'oppression à travers des figures mythiques symbolisant le refus de la compromission, le droit opposé aux lois (Antigone d'Anouilh), le destin du poète (Orphée pour Cocteau), la lutte du bon sens contre la violence (La guerre de Troie n'aura pas lieu de Giraudoux). Le mythe se charge aussi d'implications politiques (L'Antigone de Brecht résistant aux nazis) ou psychanalytiques (Le deuil sied à Electre, d'Eugène O'Neill). Enfin, le mythe offre aussi la possibilité au théâtre de créer un univers poétique ouvert au merveilleux.