LE THEATRE
AUX XIVème & XVème SIECLES
La transformation qui commence à s'opérer insensiblement en 1270 est manifeste à l'avènement des Valois. Les genres littéraires du moyen-âge sont épuisés ou se trainent, envahis par l'allégorie et le pédantisme.
Le XIVème siècle est d'une stérilité littéraire à peu près complète. On pourrait croire que les oeuvres de ce temps sont perdues; mais il vaut mieux dire que la misère et les désordres de toute sorte amenés par la guerre de Cent ans expliquent cette décadence de la littérature.
Le XVème siècle est plus vivant. Le théâtre édifiant et le théâtre comique s'y développent dans une confusion tumultueuse qui exclut l'art délicat mais manifeste une vitalité profonde. On y rencontre un grand prosateur, Commines, et un grand poète, Villon.
En même temps apparaissent çà et là les signes précurseurs d'une pensée nouvelle et d'une société nouvelle. Par l'Italie, les oeuvres de l'antiquité, retrouvées dans leur intégrité, arrivent en France et pénètrent peu à peu les esprits, préparant ainsi les voies à la Renaissance.
LES MYSTERES
Le drame religieux au XVème siècle s'appelle un mystère. Ce mot vient de ministerium et signifie, comme drame, action ou fonction.
Le mystère est la mise en scène de l'histoire religieuse de l'humanité depuis la création jusqu'au XVème siècle, d'après l'Ecriture Sainte, la Tradition, les livres apocryphes et les légendes populaires. Le mystère ramène ainsi le théâtre religieux à son origine liturgique dont le miracle l'avait en un sens écarté en le détournant sur des sujets accessoires et limités.
On peut partager les Mystères en trois cycles:
1)- le cycle de l'Ancien Testament,
2)- le cycle du Nouveau Testament et
3)- le cycle des Saints.
Le cycle de l'Ancien Testament se résume dans Le Mystère du Vieil Testament, vaste compilation de mystères antérieurs faite vers 1450; elle comprend toute l'histoire réelle et légendaire de l'Ancien Testament.
Le cyle du Nouveau Testament comprend; sept mystères sur la vie de Jésus, dont la Passion, d'Arnoul Gréban; dix mystères sur certaines parties de la vie de Jésus; Le Mystère des Actes des Apôtres d'Arnoul et de Simon Gréban.
Le cycle des Saints comprend une quarantaine de mystères qui mettent en scènes la vie et la mort d'un saint (Mystère de saint Dominique, Mystère de Saint-Louis)
Il faut classer à part deux mystères empruntés exceptionnellement à l'histoire profane, le Mystère du siège d'Orléans qui met en scène la délivrance d'Orléans par Jeanne d'Arc et le Mystère de la Destruction de Troie.
L'ensemble de tous ces mystères est considérable est comprend plus d'un million de vers.
On dirait que les Mystères sont l'oeuvre collective de toute une génération: un petit nombre seulement des noms des auteurs sont venus jusqu'à nous. On cite les deux frères Gréban, Jean Michel et Pierre Gringoire.
Les mystères n'étaient pas joués par des acteurs de profession. Lorsque, dans une ville, une confrérie puissante, une corporation, un groupe de bourgeois, montaient un mystère, ils faisaient appel à la bonne volonté de tous: les acteurs étaient recrutés dans toutes les classes de la société; un théâtre était dressé sur la place publique, et la représentation, qui était un véritable événement, attirait pour plusieurs semaines une foule nombreuse.
Cependant peu à peu s'établirent des sociétés permanentes qui avaient pour mission de jouer des mystères. La plus célèbre est celle des Confrères de la Passion, reconnus par acte royal du 4 décembre 1402, qui furent les premiers à avoir un théâtre stable et obtinrent le monopole de la représentation des mystères à Paris.
Le mystère n'est pas, comme le miracle, un poème dramatique à sujet délimité avec exposition, action et dénouement. Le mystère est un spectacle, une série de vues de l'histoire religieuse, une succession de tableaux vivants, expliqués et commentés par un dialogue. Il ne faut donc pas y chercher une composition quelconque ni un lien entre les scènes.
De plus, quoique le mystère est pour but d'édifier, il ne garde pas l'unité de ton. Comme la pièce est longue et pourrait lasser l'auditoire, les auteurs y ont entremêlé des scènes de farce: les paysans, les valets, les bourreaux, les diables et en particulier les fous, ne chargeaient d'égayer le public. Tout est bon et tout est employé pour y parvenir: la parodie, la grossièreté plate, l'indéscence bouffone.
La mise en scène des mystères demande beaucoup de places et cependant est fort simple. Tous les lieux nécessaires à l'action sont disposés d'avance sur une scène unique, ce qui réalise la multiplicité des lieux dans l'unité matérielle.
Ces lieux appelés mansions, maisons, sont indiqués par des écriteaux sommairement figurés: un fauteuil représente une salle royale, trois arbres, une forêt, un bassin minuscule, l'Océan. Le paradis est luxueusement orné; l'enfer est figuré par une gueule de dragon ouverte.
Le décor ne change pas. Suivant les nécessités de l'action les acteurs se déplacent; ils vont de Rome à Jérusalem, ils passent la mer en franchissant le bassin, ils font de longs voyages en quatre pas. Le public accepte cette fiction qui suffit à l'illusion dramatique.
Nous avons vu que les mystères manquent de composition. Ils manquent également la psychologie: les personnages en sont conventionnels et lamentablement inférieurs au model transmis par les Saints Livres. Aucun poète de ce temps n'a pu donner une représentation acceptable de Jésus; Marie est moins gauchement dessinée et les personnages épisodiques, comme les bergers sont naturels et amusants.
Le ver, en général l'octosyllabe, est net et ferme. Mais la langue et le style sont médiocres: l'auteur ignore l'art de choisir ses idées et ses mots; et il dit n'importe quoi n'importe comment; il dilue des idées quelconques dans une langue ordinairement plate.
Cependant, ce théâtre eut un immense succès parce qu'il réalisait une harmonie rarement atteinte. Entre l'Evangile, source et matière du drame, entre les auteurs de ce drame qui l'ont vécu en l'écrivant, et le public qui le vit en le regardant, il y a communauté absolue de foi et de sentiments, une communauté que jamais théâtre n'a réalisée à ce point. Il ne faut donc pas s'étonner si aux moments les plus pathétiques de la Passion passe sur cette foule un grand courant d'émotion surnaturelle qui transfigure tout, le pauvre théâtre aux planches mal jointes, les décors puérils les acteurs maladroits, les vers de mirliton. Tout cela est un chef-d'oeuvre parce que ce n'est plus de théâtre; cette masse de croyants se trouvent réellement en face des mystères de sa foi.
L'évolution des passions est très nette au cours du XVème siècle. La première, celle d'Eustache Marcadé, dite Passion d'Arras et grave, pieuse, à peine égayé par quelques scènes populaires comme celle des nourrices de Saints Innocents qui chantent pour endormir leurs petits. La seconde celle d'Arnoul Gréban est la meilleure, c'est là que nous trouvons la perle du théâtre du moyen-âge, la scène où Notre-Dame supplie son fils de sauver le monde autrement que par les horreurs de la crucifixion. Mais déjà les divertissements populaires comme ceux des bergers sont plus nombreux. La troisième, celle de Jean Michel, est intéressante et vivante, mais l'élément profane et divertissant a pris une très grande place.
L'évolution continue. La Passion se laïcise. Les Scènes bouffons, grossières, inconvenantes, surabondent.
Le spectacle n'est plus religieux. Il froisse les âmes vraiement chrétiennes. L'église proteste le Parlement s'émeut et en 1548 il interdit aux confrères de la Passion qui n'étaient que des comédiens, de représenter les Mystères qui n'étaient plus des drames religuex.