LA FARCE DU CUVIER
La Farce du cuvier est une oeuvre de la littérature médiévale dont nous ignorons l'auteur. Elle est écrite en octosyllabes et à rimes plates. Elle a paru dans la deuxième moitié du XVème siècle.
Les personnages en sont:
JACQUINOT, maître forgeron.
ANNE, femme de Jacquinot.JACQUETTE, belle-mère de Jacquinot.
ASPECT, CARACTERE ET COSTUMES DES PERSONNAGES
JACQUINOT n’est point, un béjaune niais et ridicule, ni un gringalet puisqu’il parvient à tirer sa femme du cuvier; c’est un artisan débonnaire, fin, placide et calme, qui pourrait avoir recours à la force pour maîtriser les deux commères, mais renoncerait à toutes ses prérogatives de ‘chef de maison plutôt que de se montrer brutal et arbitraire. Il est vêtu d’un pourpoint très simple serré à la ceinture par une bande de cuir, d’un haut-de-chausse, et chaussé de souliers à la poulaine. Il porte le traditionnel tablier de cuir des forgerons; visage glabre, cheveux longs, sans coiffure.
ANNE est une petite personne despotique, gâtée par son mari qui, jusqu’alors, lui a passé toutes ses fantaisies pour avoir la paix. Elle est coiffée d’un chaperon, chaussée de mules de drap à bouts arrondis; elle porte une robe a corsage plat et ajusté, taillé carrément, très ouvert à l’encolure, laissant voir la gorgerette ou fichu de dentelle montant jusqu’à la naissance du cou; une jupe très longue, relevée par des retroussoirs, ou agrafes, fixés à la ceinture où pend l’escarcelle.
DAME JACQUETTE est le type de la belle-mère classique, qui soutient sa fille, se montre systématiquement hostile envers son gendre et fait preuve d’une partialité instinctive dans les différends du ménage. Elle porte, en plus sévère et en couleur foncée, le même costume que sa fille Anne.
L’action se passe vers le milieu du XVe siècle, dans le logis très simple d’un artisan.
A droite, au premier plan, une vaste cheminée sous laquelle apparaissent le four à cuire le pain et le chaudron à bouillir la lessive.
Au second plan, une porte donnant sur l’atelier. A gauche, au premier plan, une porte; au second plan, une cuve ou un baquet destiné à couler la lessive.
Au fond, une fenêtre donnant sur la rue; meubles de bois grossièrement façonnés bahut, pétrin, maie, crédence, escabeaux, une table devant la cheminée étains, cuivres, lampe à bec suspendue au plafond solivé.
L'AUTORITÉ EST LE THÈME PRINCIPAL DE LA FARCE
Cette farce raille la manie qu'ont certaines femmes de diriger la demeure, en faisant taire leur époux. C'est encore une satire légère des moeurs qui s'exerce ici, mais la raison populaire finit par triompher.
Au début de la farce, les rôles habituels sont inversés, et la femme de Jacquinot détient l'autorité. Cette situation est portée au ridicule grâce à de nombreux procédés comiques: la colère du mari qui maudit son mariage, car, fréquemment martyrisé, il doit obéir servilement aux deux femmes, est la source du comique de situation, renforcé par les invectives et les ordres de la femme à son époux. Le comique de caractère est circoncis à la mère, qui a toujours un temps de retard et ne fait que répéter ou surenchérir les injonctions de sa fille. Le comique de geste, puis de farce sont de la partie: la femme menace à plusieurs reprises son mari: "Mettez! ou vous serez frottés", "Je vous battray plus que plastre", puis le gifle ( "Le voyla, qui te puisse ardre !") et lui jette du linge sale et puant ( "Or sentez, maistre quoquart") avant de choir dans le cuvier, comble du rire. Le comique de mot s'ensuit: après les nombreux jurons des deux personnages, Jacquinot se met à chantonner pour narguer sa femme en la traitant de tous les noms, et entonne son refrain "Cela n'est point à mon roulet" .
Au terme d'un chantage, Jacquinot recouvre son droit, et les deux femme la raison: la femme s'engage à demeurer servante, "Comme par droict il appartient", et la mère déclare: "Sien mesnaige y a discorde, on ne sçauroit fructifier". Le rire s'atténue pour faire place à la morale de la fin:
"Aussi je veulx certifier
Que le cas est à femme laict
Faire de son maistre son varlet
Tant soit sot ou mal aprins."
RÉSUMÉ
Jacquinot se plaint de son ménage que sa femme et sa belle-mère dirigent impérieusement, et entend bien reconquérir son emprise sur le foyer. Entrent les deux femmes qui soutiennent qu'un bon mari doit obéir à sa femme. Déplorant que sa femme lui "commande trop de negoces", Jacquinot est contré par sa belle-mère qui rétorque qu'il doit prendre un rôlet pour y consigner ses tâches. Jacquinot s'exécute, et inscrit tout ce que lui dicte sa femme. S'opposant à plusieurs articles, il s'incline tout de même, pressé et menacé par les deux femmes. Après une longue dictée, il signe et se promet de ne jamais faire autre chose que ce qui figure sur ledit rôlet.
Après avoir été giflé et avoir reçu du linge sale à la figure, parce qu'il avait affirmé que laver le linge n'était pas inscrit dans son rôlet et avait rechigné à la besogne, Jacquinot fait tomber sa femme dans le cuvier (grand bac à linge) en tirant brutalement sur un drap. Empêtrée dans ses habits trempés, la femme se lamente désespérément et enjoint son mari de venir à son secours. Et Jacquinot de passer en revue toutes ses instructions et de répondre inlassablement: "Cela n'est point à mon roulet". Tandis que la femme, tentant tous les recours, mêle les supplications aux remontrances, et affecte une mort imminente, Jacquinot reste de marbre, se refuse même à aller chercher quelque valet, ressassant la même rengaine. Entre la mère à qui Jacquinot apprend que tout est "Tresbien, puis que sa femme est morte". Elle appelle en vain son gendre pour secourir sa fille, mais Jacquinot réplique qu'il le fera pas avant qu'on lui promette qu'il sera désormais le maître du logis. Les deux femmes s'empressent de le lui accorder.