JACQUES-BENIGNE BOSSUET (1627 - 1704)
Bossuet naquit à Dijon en 1627, d'une famille de magistrats remarquable par le bon sens, l'activité et la foi. Il fit ses études au collège des Jésuites de Dijon, où il se signala comme un élève studieux et réfléchi: bos suetus aratro (boeuf habitué à la charrue), disait-on de lui par plaisanterie. En 1642, il entra au collège de Navarre, à Paris, où il étudia pendant deux ans la philosophie et pendant cinq ans la théologie, sous la direction de Nicolas Cornet. Il complétait son éducation en voyant le monde: il assistait à la représentation des pièces de Corneille avec son ami Rancé, et il était présenté dans les salons, à l'hôtel Vendôme et à l'hôtel de Rambouillet où, d'après la tradition, il prononça un petit sermon improvisé. En 1648, il fut ordonné sous-diacre; pendant la retraite qui précéda cet acte définitif, Bossuet se reprochant le partage qu'il avait fait de lui-même entre Dieu et le monde, brise avec son passé et écrit sa Méditation sur la Brièveté de la Vie, qui est déjà d'une pensée mûrie et d'une expression parfaite.
En 1652, Bossuet est ordonné prêtre après avoir fait une retraite à Saint-Lazarre, sous la direction de saint Vincent de Paul. Ses relations avec Vincent de Paul, qui devinrent vite de l'intimité, durèrent jusqu'à la mort du saint et exercèrent sur Bossuet une influence profonde. Le prêtre y gagna de se détacher de la subtilité et de la spéculation pour se porter à l'action et à l'apostolat; le prédicateur y apprit les véritables caractères de l'éloquence évangélique. Quelques mois après son ordination, Bossuet partit pour Metz et devint bientôt après archidiacre de l'église cathédrale.
Le séjour de Bossuet à Metz dura sept ans et lui permit d'achever sa formation au contact de la réalité. Sans doute, il reprend et continue ses études théologiques; mais il voit le peuple, il rencontre sur sa route les protestants et il réfute le catéchisme d'un de leurs ministres, Paul Ferri; il prêche souvent. Ses sermons de cette époque ont de la subtilité scolastique et du mauvais goût; mais ces défauts s'atténuent vite et le Panégyrique de saint Bernard est déjà un chef-d'oeuvre.
En 1659, Bossuet se fixe à Paris, où saint Viencent de Paul l'appelait et, pendant dix ans, il est le prédicateur en vogue des grandes églises et de la chapelle royale. D'abord attaché à la méthode de son maitre Vincent de Paul, il prononce le panégyrique de saint Paul et le Sermon sur l'Eminente Dignité des Pauvres, qui sont des modèles d'éloquences simple. Puis dans le Carême des Minimes et dans le Carême des Carmélites il cherche sa voie, un genre plus élevé et plus noble qui puisse plair à un auditoire aristocratique sans s'éloigner cependant de l'austérité de l'Evangile. Il apparait qu'il l'a trouvé dans le Carême du Louvre dont les sermons sur le Mauvais Riche, la Providence, l'Ambition, la Mort sont des chefs-d'oeuvre définitifs. Le Carême du Louvre consacre l'autorité de Bossuet, qui prêche ensuite plusieurs fois devant la Cour, l'Avent du Louvre, le Carême de Saint-Germain, l'avent de Saint-Germain. Il est appelé à prononcer l'Oraison funèbre de la Reine d'Angleterre en 1669 et de la Duchesse d'Orléans en 1670. Il obtient l'évêché de Condom et il est choisi par le roi pour être le précepteur du Dauphin. Ces distinctions marquent à quel point l'éloquence de Bossuet avait été appréciée par la Cour.
Le Dauphin, élève de Bossuet, était né en 1661. Il était lent d'esprit, indifférent, distrait et parfois d'une humeur bizarre. Bossuet n'arriva pas à l'éveiller ni à l'intéresser aux idées. Cependant, comme Bossuet avait travaillé à former un roi et que son élève mourut en 1711 sans avoir régné, on ne peut pas dire si cette éducation échoua radicalement.
Bossuet se proposa pour but de former un roi et de ce but il fit dépendre son programme, l'esprit de son enseignement et de la formation morale. Le programme fut allégé des matières qui parurent moins nécessaires, comme le grec, et étendu dans le sens des sciences historiques et politiques. L'enseignement était donné d'une manière pratique, le maitre se préoccupant avant tout de montrer à l'élève ce qu'un roi pouvait tirer de chaque discipline. L'éducation morale et religieuse fut conduite avec une grande hauteur de vues: prêtre, Bossuet se garda bien d'inspirer à son élève une piété ecclésiastique, mais il s'attacha à lui montrer dans la religion la règle suprême de la conduite du roi.
Pour assurer l'unité de cette éducation, Bossuet enseignait tout lui-même, secondé par Daniel Huet qui lui avait été adjoint, et il écrivit tous les livres nécessaires à son élève, en particulier une histoire de France, le Discours sur l'Histoire Universelle pour lui donner des vues générales sur l'histoire des peuples, le Traité de la connaissance de Dieu et de soi-même pour lui donner des notions de philosophie, la Politique tirée de l'Ecriture Sainte pour l'initier aux principes du gouvernement des peuples. Ainsi donc, si l'élève ne profita pas de cet effort, Bossuet en retira un grand bénéfice: à quarante ans, il refit ses études profanes et acquit une connaissance sérieuse des deux antiquités. Théologien à la fois et humaniste, il devient ainsi, comme Boileau, un vrai classique, ayant fait dans sa conscience chrétienne la synthèse harmonieuse des deux sagesses, la païenne et la chrétienne.
Pendant qu'il présidait à l'éducation du Dauphin, Bossuet vivait à la Cour: mais il n'avait pas l'esprit courtisan. A Versailles, il se tenait à l'écart dans "l'allée des philosophes", et, lorsque les circonstances l'obligèrent à traiter avec le roi, il le fit avec une grande indépendance et un tranquille courage. Il aimait et admirait Louis XIV et il le louait publiquement comme l'étiquette et sa conviction le lui commendaient; mais quand le roi oublia la morale chrétienne, Bossuet, sans hésiter, lui en rappela les rigueurs.
Aussi cet homme illustre qui avait joué un rôle si éclatant, fut-il nommé à un des évêchés les moins importants de France, à Meaux. Il s'appliqua à l'administrer, à le viser et à l'évangéliser par ses sermons, ses lettres pastorales, et par un catéchisme qu'il voulut rédiger lui-même.
Cependant la Cour n'oubliait pas son éloquence et dans les grandes circonstances c'est à lui qu'il était fait appel. C'est ainsi qu'il prononça l'oraison funèbre de Marie-Thérèse, d'Anne de Gonzague, princesse Palatine, de Michel le Tellier, du prince de Condé. En fait il était reconnu par tous comme le chef de l'Eglise de France. Lorsque, en 1681, la question du Gallicanisme ayant divisé les esprits, une assemblée du Clergé fut convoquée qui paraissait tentée de faire un schisme, Bossuet fut chargé de prononcer le discours d'ouverture (Sermon sur l'Unité de l'Eglise) et de rédiger la déclaration finale. Il ne contenta entièrement aucun des deux partis, mais il sut éviter à la France le malheur d'un schisme.
Les protestants eux-mêmes s'inclinaient devant cette autorité de Bossuet. C'est ce qui lui permit de reprendre avec eux une discussion doctrinale et d'essayer de leur prouver par l'Histoire des Variations la nécessité d'une église infaillible pour maintenir l'unité et d'établir ainsi le caractère infaillible de l'Eglise Romaine. Un des plus grands esprits du protestantisme, Leibnitz, entra en correspondance avec lui et un moment Bossuet crut entrevoir la réalisation du rêve de toute sa vie: l'union des Eglises protestantes et de l'Eglise Romaine.
Mais dans les dernières années du XVIIème siècle et de sa vie, Bossuet se sent pris d'une grande tristesse. Il entrevoit que la grandeur de la France n'est plus qu'une façade et que la société se désagrège; les grandes oeuvres qu'il a tentées ou échouent ou sont remises en question. Les libertins, qu'il a cru réduire au silence, sont plus nombreux que jamais et ils ont la prétention nouvelle d'appuyer leur incrédulité sur la science; du millieu des croyants, du sein même de l'Eglise, il s'élève des esprits curieux et subtils qui raffinent sur la doctrine et soulèvent des questions où il va de toute la foi. Alors, en libéral qui se repent, en vieillard désenchanté et pressé, Bossuet accentue le ton de sa polémique qui devient âpre et emportée; découragé de faire des concessions qui ont mal tourné, il condamne avec une certaine intempérence toutes les manifestations de l'activité humaine qui ne vont pas à Dieu. C'est ainsi qu'il proscrit le théâtre dans les Maximes et Réflexions sur la Comédie, la poésie et la philosophie dans le Traité de la Concupiscence; c'est ainsi qu'il poursuit les nouveuax critiques de la Bible dans la personne de Richard Simon (Défense de la tradition et des Saints Pères) et les quiétistes dans la personne de Fénelon (Instruction sur les états d'Oraison, 1697; Relation sur le Quiétisme, 1698)
Au millieu de toutes ces discussions pénibles, à mesure que la mort approchait, il semble que Bossuet donnait plus libre cours à une source de poésie tendre et colorée qui était au fond de son coeur et qu'il avait contenue jusque-là. Elle s'épanchait dans ses lettres de direction et dans ses oeuvres de piété, comme les Méditations sur l'Evangile, les Elévations sur les Mystères, la Préparation à la Mort. Il mourut le 12 avril 1704. Comme son secrétaire, l'abbé Le Dieu, à cette heure dernière, lui parlait de sa gloire, il eut la force de l'interrompre avec sévérité et il lui dit: "Cessez ce discours, demandons pardons à Dieu de nos péchés".
Comme on a pu le voir, Bossuet est avant tout un apôtre; c'est là que se trouve l'unité de sa vie. Il n'a pas écrit une ligne, il n'a pas fait une démarche, qui ne fût un acte et un acte de prêtre. S'il a publié certaines de ses oeuvres, ce n'est pas qu'il fût à un degré quelconque atteint de vanité littéraire, c'est qu'il les jugeait utiles.
Cet apôtre était un honnête homme. Il voulait le bien et il ne voulait l'atteindre que par des moyens loyaux et clairs. Il s'est trompé quelquefois; mais on ne peut pas relever chez lui quoi que ce soit qui ressemble au mensonge, à la ruse, à la duplicité.
Cet honnête homme n'était pas un saint. Il aimait la vie large qui s'harmonisait avec sa majesté naturelle. Il était attaché à ses idées et il les défendait avec âpreté. Il avait conscience de son rôle de protecteur de la vérité, et surtout dans les dernières années de sa vie, il confondait volontiers sa cause avec celle de la doctrine: de là chez lui, de la hauteur et parfois même de l'emportement.