ORAISON FUNEBRE DE
HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE
Le 30 juin 1670, Henriette d'Angleterre, épouse de "Monsieur", Philippe d'Orléans, frère du roi, meurt brutalement, à l'âge de 26 ans. Bossuet prononce son oraison funèbre le 21 août, dans la basilique de Saint-Denis. Après avoir énoncé dans l'exorde le thème développé dans son sermon (vanité de l'homme sans Dieu), il dresse un portrait de la jeune défunte.
Et certainement, messieurs, si quelquechose pouvait élever les hommes au-dessus de leur infirmité naturelle: si l'origine qui nous est commune souffrait quelque distinction solide et durable entre ceux que Dieu a formés de la même terre, qu'y aurait-il dans l'univers de plus distingué que la princesse dont je parle? Tout ce que peuvent faire non seulement la naissance et la fortune, mais encore les grandes qualités de l'esprit, pour l'élévation d'une princesse, se trouve rassemblée et puis anéanti dans la nôtre. De quelque côté que je suive les traces de sa glorieuse origine, je ne découvre que des rois, et partout je suis ébloui de l'éclat des plus augustes couronnes. Je vois la maison de France, la plus grande sans comparaison de tout l'univers, et à qui les plus puissantes maisons peuvent bien céder sans envie, puisqu'elles tâchent de tirer leur gloire de cette source. Je vois les rois d'Ecosse, les rois d'Angleterre, qui ont régné depuis tant de siècles sur une des plus belliqueuses nations de l'univers, plus encore par leur courage que par l'autorité de leur sceptre. Mais cette princesse, née sur le trône, avait l'esprit et le coeur plus hauts que sa naissance. Les malheurs de sa maison n'ont pu l'acabler dans sa première jeunesse; et dès lors, on voyait en elle, une grandeur qui ne devait rien à la fortune. Nous disions avec joie que le Ciel l'avait arrachée comme par miracle des mains des ennemis du roi son père pour la donner à la France: don précieux, inestimable présent si seulement la possession en avait été plus durable! Mais pourquoi ce souvenir vient-il m'interrompre? Hélas! nous ne pouvons un moment arrêter les yeux sur la gloire de la princesse, sans que la mort s'y mêle aussitôt pour tout offusquer de son ombre. O mort! éloigne-toi de notre pensée, et laisse-nous tromper pour un peu de temps la violence de notre douleur par le souvenir de notre joie. Souvenez-vous donc, Messieurs, de l'admiration que la princesse d'Angleterre donnait à toute la cour: votre mémoire vous la peindra mieux, avec tous ses traits et son incomparable douceur, que ne pourront jamais faire toutes mes paroles. Elle croissait au millieu des bénédictions de tous les peuples, et les années ne cessaient de lui apporter de nouvelles grâces (...)
Que si son rang la distinguait, j'ai eu raison de vous dire qu'elle était encore plus distinguée par son mérite. Je pourrais vous faire remarquer qu'elle connaissait si bien la beauté des ouvrages de l'esprit, que l'on croyait avoir atteint la perfection quand on avait su plaire à Madame: je pourrais encore ajouter que les plus sages et les plus expériementés admiraient cet esprit vif et perçant qui embrassait sans peine les plus secrets intérêts. Mais pourquoi m'entendre sur une matière où je puis tout dire en un mot? Le roi, dont le jugement est une règle toujours sûre, a estimé la capacité de cette princesse et l'a mise par son estime au-dessus de tous nos éloges.
Cependant, ni cette estime, ni tous ces grands avantages n'ont pu donner atteinte à sa modestie. Tout éclairée qu'elle était, elle n'a point présumé de ses connaissances, et jamais ses lumières ne l'ont éblouie. Rendez témoignage à ce que je dis, vous que cette grande princesse a honorés de sa confiance. Quel esprit avez-vous trouvé plus élevé? mais quel esprit avez-vous trouvé plus docile? (...) Elle étudiait ses défauts; elle aimait qu'on lui en fit des leçons sincères: marque assurée d'une âme forte que ses fautes ne dominent pas, et qui ne craint point de les envisager de près par une secrète confiance des ressources qu'elle sent pour les surmonter. C'était le dessein d'avancer dans cette étude de sagesse qui la tenait si attachée à la lecture de l'histoire, qu'on appelle avec raison la sage conseillère des princes. (...) Là notre admirable princesse étudiait les devoirs de ceux dont la vie compose l'histoire: elle y perdait insensiblement le goût des romans et de leurs fades héros; et soigneuse de se former sur le vrai, elle méprisait ces froides et dangereuses fictions. Ainsi, sous un visage riant, sous cet air de jeunesse qui semblait ne promettre que des jeux, elle cachait un sens et un sérieux dont ceux qui traittaient avec elle étaient surpris.
BOSSUET
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