COUP DE FOUDRE
L’action de la tragédie se déroule à Rome, en 55 après Jésus-Christ, au début du règne de Néron. La mère de l’empereur, Agrippine, attend que son fils veuille bien la recevoir. Eveillée avant l’aube, dans l’atmosphère du palais endormi, elle est impatiente et inquiète. Un coup d’éclat s’est produit pendant la nuit : pour une raison qu’elle ignore, Néron a fait enlever Junie, qui est fiancée à Britannicus, fils du défunt empereur Claude. Or, Agrippine protège, pour des motifs politiques, les amours des deux jeunes gens et se sent provoquée, voire menacée, par le rapt dont Néron est l’instigateur ; elle promet donc son aide à Britannicus. Mais voici que Néron apparait sur la scène au début du second acte et confie à l’affranchi Narcisse son secret.
NERON
Narcisse, c'en est fait, Néron est amoureux.
NARCISSE
Vous !
NERON
Depuis un moment ; mais pour toute ma vie,
J'aime, que dis-je aimer, j'idolâtre Junie.
NARCISSE
Vous l'aimez !
NERON
Excité d'un désir curieux,
Cette nuit je l'ai vue arriver en ces lieux,
Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,
Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,
Belle, sans ornement, dans le simple appareil
NERON |
Les ombres, les flambeaux, les cris et le silence,
Et le farouche aspect de ses fiers ravisseurs,
Relevaient de ses yeux les timides douceurs,
Quoi qu'il en soit, ravi d'une si belle vue,
J'ai voulu lui parler, et ma voix s'est perdue :
Immobile, saisi d'un long étonnement,
Je l'ai laissé passer dans son appartement.
J'ai passé dans le mien. C'est là que, solitaire,
De son image en vain j'ai voulu me distraire.
Trop présente à mes yeux je croyais lui parler ;
J'aimais jusqu'à ses pleurs que je faisais couler.
Quelquefois, mais trop tard, je lui demandais grâce :
J'employais les soupirs, et même la menace.
Voilà comme, occupé de mon nouvel amour,
Mes yeux, sans se fermer, ont attendu le jour.
Mais je m'en fais peut-être une trop belle image :
Elle m'est apparue avec trop davantage :
Narcisse, qu'en dis-tu ?
Jean RACINE, Britannicus, acte II, scène 2, vers 382 à 409