LUNE DE MIEL
Fille d'un cultivateur aisé, Emma a épousé Charles Bovary, médecin dans une petite ville de Normandie. La jeune femme, très romanesque, est vite déçue par la vie mesquine qu'elle mène auprès de son mari. Elle s'éprend d'un jeune clerc de notaire, Léon Dupuis, dont les goûts romantiques sont en accord avec son tempérament rêveur. Elle saisit l'occasion d'un voyage à Rouen pour le rejoindre clandestinement...
Ce furent trois jours pleins, exquis, splendides, une vraie lune de miel.
Ils étaient à l'hôtel de Boulogne sur le port. Et ils vivaient là, volets fermés, portes closes, avec des fleurs par terre et des sirops à la glace qu'on leur apportait dès le matin. Vers le sois, ils prenaient une barque couverte et allaient diner dans une ile.
C'était l'heure où l'on entend au bord des chantiers, retentir le maillet des calfats, contre la coque des vaisseaux. La fumée du goudron s'échappait d'entre les arbres, et l'on voyait sur la rivière de larges gouttes grasses, ondulant inégalement sous la couleur pourpre du soleil, comme des plaques de bronze florentin, qui flottaient.
Ils desendaient au millieu des barques amarrées, dont les longs câbles obliques frôlaient un peu le dessus de la barque.
Les bruits de la ville insensiblement s'élognaient, le roulement des charettes, le tumulte des bois, le jappement des chiens sur le pont des navires. Elle dénouait son chapeau et ils abordaient à leur ile.
Ils se plaçaient dans la salle basse d'un cabaret qui avait à sa porte des filets noirs suspendus. Ils mengeaint de la fritures d'éperlans, de la crème et des cerises. Ils se couchaient sur l'herbe; ils s'embrassaient à l'écart sous les peupliers; et ils auraient voulu comme deux Robinsons, vivre perpétuellement dans ce petit endroit qui leur semblait en leur béatitude le plus magnifique de la terre. Ce n'était pas la première fois qu'ils apercevaient des arbres du ciel bleu, du gazon, qu'ils entendaient l'eau couler à la brise soufflant dans le feuillage; mais ils n'avaient sans soute jamais admiré tout cela, comme si la nature n'existait pas auparavant ou qu'elle n'eut commencé à être belle que depuis l'assouvissance de leur désir.
A la nuit, ils repartaient. La barque suivait le bord des iles. Ils restaient au fond, tous les deux cachés par l'ombre sans parler. Les avirons carrés sonnaient entre les volets de fer; et cela marquait dans le silence comme un battement de métronom, tandis qu'à l'arrière la bauce qui trainait ne discontinuait pas son petit clapotement doux dans l'eau.
Une fois la lune parut; alors ils ne manquèrent pas à faire des phrases, trouvant l'astre mélancolique et plein de poésies; même elle, se mit à chanter:
un soir, t-en souvient-il ? , nous voguions etc.
Sa voix harmonieuse et faible se perdait sur les flots; et le vent emportait les roulades que Léon écoutait passer, comme des battements d'ailes, autour de lui.
Elle se tenait en face appuyée contre la cloison de la chaloupe, où la lune entrait par un des volets ouverts. Sa robe noire, dont les drapperies s'élargissaient en éventail, l'amincissait, la rendait plus grande. Elle avait la tête levée, les mains jointes, et les deux yeux vers le ciel. Parfois, l'ombre des saules la cachait en entier puis elle réapparaissait tout à coup, comme une vision, dans la lumière de la lune.
Gustave Flaubert, Madame Bovary
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