LOUISE LABE
Cette jeune femme cultivée qui tenait salon à Lyon vers 1550 avait épousé un riche cordier et fut surnommée "la belle cordière". Calomniée par certains, présentée par Calvin comme une courtisane, Louise Labé est une voix originale et neuve dans la poésie de ce siècle. Elle s'accepte dans sa condition de femme avec les exigences de son coeur et de son corps, sans céder à la tentation intellectuelle d'idéaliser l'amant et de sublimer l'amour. Dans son oeuvre poétique qui comprend trois élégies et 24 sonnets, la convention amoureuse est retournée: celle qui dit "je" est une femme et le motif de ses pleurs et ses espérances, l'objet passif de son amour exigeant, c'est l'homme. L'exaspération sensuelle d'un amour inassouvi la réduit "à se délecter dans les ténébres de ses fautes, qu'illumine soudain un éclair de jouissance, avec une sorte de morosité spasmodique et tendre, sans analogue, croyons-nous dans l'histoire des lettres européennes" (A.M.Scmidt: poète lyonnais du 16ème siècle)
J'endure mal tant que le Soleil luit:
Et quand je suis quasi toute cassée,
Et que me suis mise en mon lit lassée
Crier me faut mon mal toute la nuit
Celle qu'on appelle "la belle cordière" n'a pas cherché à masquer ses sentiments amoureux sous l'allégorie et l'idéalisation. Elle exprime ici, avec une émouvante franchise, le désir d'être aimée.
Oh, si j'étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant:
Si avec lui vivre le demeurant
De mes cours jours ne m'empêchait envie:
Si m'accolant me disait: Chère Amie,
Contentons-nous l'un de l'autre! S'assurant
Que ja tempête, Euripe, ne courant
Ne nous pourra disjoindre en notre vie:
Si, de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l'arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,
Lors que, souef, plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse
(Sonnet XII)
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Depuis qu'Amour cruel empoisonna
Premièrement de son feu ma poitrine,
Toujours brûlai de sa fureur divine,Qui un seul jour mon coeur n'abandonna.
Quelque travail, dont assez me donna,
Quelque menace et prochaine ruine,
Quelque penser de mort qui tout termine,
De rien mon coeur ardent ne s'étonna.
Tant plus qu'Amour nous vient fort assaillir,
Plus il nous fait nos forces recueillir,
Et toujours frais en ses combats fait être ;
Mais ce n'est pas qu'en rien nous favorise,
Cil qui des Dieux et des hommes méprise,
Mais pour plus fort contre les forts paraître.
(Sonnet IV)