LES PROVINCIALES
C'est une occasion qui fait de Pascal un écrivain. En 1656, Arnauld, maitre à penser du couvent janséniste, publie une lettre imprudente. Il est attaqué par les jésuites et un procès théologique s'engage. Arnauld, plus à l'aise dans le débat religieux que dans la polémique, demande à Pascal de porter l'affaire devant le public. De janvier 1656 à mars 1657, Pascal publie donc dix-huit lettres anonymes dont le succès fait enrager ses adversaires qui ne peuvent en découvrir l'auteur. On désigne ses lettres du nom de Provinciales, parce qu'elles simulent une correspondance entre un "provincial" et un de ses amis qui l'informe.
On distingue nettement trois parties dans les Provinciales.
► Les questions de la grâce: elles occupent les quatre premières lettres. Elles traitent de la censure dont Arnauld est l'objet et des différentes interprétations de la grâce entre jésuites et jansénistes. Ce sont encore des lettres de défense.
► La morale relachée des jésuites (lettres 5 à 16): Pascal prend l'offensive. Il attaque d'abord la base de cette morale relâchée qui est le probabilisme: toute opinion soutenue par un docteur sérieux est probable, même si un autre docteur sérieux dit le contraire en en propose une autre. Ainsi, bien qu'il soit écrit dans l'Evangile: "donnez l'aumône de votre superflu", on peut s'en trouver dispensé, parce que le docte Vasquez explique très bien que, pour les riches, le superflu c'est le nécessaire. Un autre artifice des casuistes est représenté par ce qu'ils appellent la direction d'intention; on peut commettre une mauvaise action pourvu que l'intention ait été orientée vers le bien. Grâce à ce procédé, on justifie le duel par exemple: on n'avait pas l'intention de tuer son adversaire mais seulement de venger son honneur. Les lettres abondent en exemples tristes ou plaisants sur l'hypocrisie de la casuistique, qui n'a plus rien à voir avec la vraie morale de l'Evangile.
► Questions théologiques (lettres 17 et 18): dans les deux dernières Provinciales, Pascal revient à Jansénius, fondateur du jansénisme. Il affirme que celui-ci ne représente pas une hérésie dans l'Eglise.
Pascal n'est pas un théologien mais un logicien et lorsqu'il débat de problèmes de théologie, il essaie seulement de trouver la faille dans le raisonnement de ses adversaires. Pourtant Pascal n'est pas un tacticien impartial qui considère la polémique comme un jeu de l'esprit: une conviction profonde l'anime. C'est avec dégoût qu'il rejette l'idée d'une religion qui serait accomodante et se plierait aux désirs de chaque homme. Il croit fermement qu'il existe une vérité éternelle et une loi morale invariable pour tous. C'est là sa rigueur janséniste.
Pour retenir l'attention du public qui ne connait pas les subtilités du problème, Pascal invente le personnage d'un jeune narrateur, auteur des lettres. Dans les quatre premières lettres, ce jeune homme joue le naïf; il rend visite à plusieurs théologiens pour se faire expliquer les problèmes de la grâce dont il est question dans la polémique. Chaque fois il reçoit des réponses différentes, qui montrent bien l'incohérence de la position des jésuites, incapables de se mettre d'accord entre eux et de s'entendre sur les termes.
A partir de la quatrième lettre, la fausse naïveté fait place à l'ironie. Pascal s'amuse aux dépens des jésuites et utilise contre eux les resssources du comique, pour les discréditer. A partir de la douzième lettre, le ton change. Pascal ne se contente plus de faire rire. L'indignation éclate contre ceux qui adaptent les lois éternelles à leurs petits désirs personnels. L'ironie fait place à l'éloquence, aux désirs violents de convaincre ses lecteurs. Pascal ne s'amuse plus, il défend avec passion les idées auxquelles il croit.
Le débat théologique à l'origine des Provinciales a depuis longtemps perdu de son actualité. Mais ce qui est toujours remarquable dans ces lettres, c'est la pureté de la forme, la puissance de la langue, bien que Pascal lui-même ne se soit jamais pris pour un écrivain. Boileau, si rigoureux, voyait dans les Provinciales la seule création qui fût supérieure à tout ce qu'avait produit l'Antiquité. C'est un compliment d'une grande portée puisque Boileau était le plus farouche défenseur des Anciens.
Hiç yorum yok:
Yorum Gönder