LES PENSEES
Pascal voulait écrire une Apologie de la religion chrétienne. Il souhaitait dix années de bonne santé pour mener à bien ce travail; il n'eut que cinq ans de maladie. A sa mort, il laisse plusieurs liasses de feuillets difficiles à déchiffrer. Pendant deux siècles, des parents, des amis, des érudits s'efforcent de déchiffrer ces notes et de les classer. L'ordre dans lequel Pascal avait rangé les liasses permet de dégager un fil conducteur, sans pourtant nous assurer que ce soit celui voulu en définitive par Pascal.
Le but est d'amener les libertins à croire en la religion chrétienne. Il s'agit d'abord de montrer à ces libertins que la religion n'est pas contraire à la rasion; ensuite, on les amènera à aimer cette religion, on leur montrera qu'elle est vraie, "vénérable parce qu'elle a bien connu l'homme; aimbale parce qu'elle promet le vrai bien". Cette démarche de Pascal est originale; il ne commence pas par vouloir prouver l'existence de Dieu, car il sait que ce débat est sans limite. Il part plutôt de la situation de l'homme dans l'univers, de ce que tout le monde peut constater et comprendre.
L'homme est un mystère: c'est une créature étrange, composé de misère et de grandeur, un être indéfini que l'on a du mal à cerner. Cette créature qu'est l'homme est fragile comme un roseau, nous dit Pascal (il tombe facilement malade, il est facile de le tuer) mais il est incroyablement supérieur à tout ce qui parait plus résistant que lui parce qu'il peut penser ("c'est un roseau pensant") et sait qu'il est fragile. Pascal s'interroge alors avec angoisse sur la destinée de l'homme: "Quelle chimère est-ce donc que l'homme? Quelle nouveauté, quel monstre, quel chaos, quel sujet de contradiction, quel prodige! Juge de toutes choses, imbécile ver de terre, dépositaire du vrai, cloaque d'incertitude et d'erreur, gloire et rebut de l'univers".
Les philosophes n'arrivent pas à expliquer le mystère de l'homme. Les uns, comme les stoïciens, n'ont voulu voir que sa grandeur. Les autres, comme Montaigne, n'ont voulu voir que sa faiblesse. Le christianisme apporte une solution: ce mélange de misère et de grandeur s'explique parce que l'homme a connu la grandeur avant le péché originel, et qu'il en a gardé des traces: "Si l'homme n'avait jamais été corrompu, il jouirait dans son innocence et de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avait jamais été que corrompu, il n'aurait aucune idée ni de la vérité ni de la béatitude".
Ainsi la religion chrétienne, loin d'être une obscure superstition, apporte-t-elle une explication acceptable par la raison. De plus, cette raison nous prouve que nous avons tout intérêt à accepter la religion: c'est le fameux pari pascalien. Nous ne perdons rien à parier que Dieu existe. D'un côté (nous parions que Dieu existe, et il n'existe pas) nous avons vécu en chrétiens qui sont les plus heureux des hommes; d'un autre côté ( nous parions que Dieu existe et il existe véritablement) nous avons une chance de gagner la vie éternelle: "Pesons le gain et la perte en prenant choix, que Dieu existe. Estimons ces deux cas: si vous gagnez, vous gagnez tout; si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu'il est sans hésiter".
Le problème de la foi: mais parier ce n'est pas encore avoir la foi, qui est une adhésion du coeur. Pour croire, il nous suffira de vouloir croire; faire d'abord comme si l'on y croyait pour préparer le terrain à la venue de la grâce.
La vérité du christianisme: quand nous serons décidés à croire, à chercher Dieu, et à souhaiter que le christianisme soit vrai, Pascal se fait fort de nous démontrer sa vérité. Il nous prouvera par les prophéties que le Christ est même une vérité historique.
Il y a peu de lecture sur ce difficile sujet de la religion qui soit aussi passionnante que celle des Pensées. En effet, le livre n'est pas, à proprement parler, un ouvrage religieux. Il traite des questions toujours d'actualité: la force de l'imagination, la force de l'habitude, la guerre, l'ennui, le mystère de l'univers. L'intérêt vient aussi de la personnalité de l'auteur. Comme un mathématicien, il envisage la religion comme une hypothèse à vérifier par l'expérience. Mais cet homme rigoureux ne manque pas d'imagination quand il évoque, par exemple, l'infiniment grand et l'infiniment petit entre lesquels se situe l'homme.
C'est enfin l'accent de sincérité qui s'échappe de chaque page. L'auteur ne se laisse aller à aucune coquetterie littéraire. Toute son écriture est tendue par la volonté de convaincre: aucun procédé, aucune figure de style gratuite pour enjoliver. Il dit lui-même dans les Pensées: "la vraie éloquence se moque de l'éloquence" (c'est-à-dire de la rhétorique)
Les Pensées connaissent un succès immédiat. Bien qu'elles restent marquées par les préoccupations d'une époque, elles continuent de fasciner, même ses adversaires, dont les premiers furent les philosophes du XVIIIème siècle. Aujourd'hui encore, le déclin des grandes idéologies athées, le déchirement du monde moderne incapable de mettre fin à ses problèmes une large place à la refléxion de Pascal.
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