EXTRAITS DES «TRAGIQUES»
Je veux peindre la France une mère affligée,
Qui est, entre ses bras, de deux enfants chargée.
Le plus fort, orgueilleux, empoigne les deux bouts
Des tétins nourriciers ; puis, à force de coups
D'ongles, de poings, de pieds, il brise le partage
Dont la nature donnait à son besson l'usage;
Ce voleur acharné, cet Ésau malheureux?
Fait dégât du doux lait qui doit nourrir les deux,
Si que, pour arracher à son frère la vie,
Il méprise la sienne et n'en a plus d'envie.
Mais son Jacob, pressé d'avoir jeûné meshui,
Ayant dompté longtemps en son cœur son ennui,
A la fin se défend, et sa juste culère
Rend à l'autre un combat dont le champ est la mère.
Ni les soupirs ardents, les pitoyables cris,
Ni les pleurs réchauffés ne calment leurs esprits;
Mais leur rage les guide et leur poison les trouble,
Si bien que leur courroux par leur coups se redouble.
Leur conflit se rallume et fait si furieux
Que l'un gauche malheur ils se crèvent les yeux.
Cette femme éplorée, en sa douleur plus forte,
Succombe à la douleur, mi-vivante, mi-morte;
Elle voit les mutins, tout déchirés, sanglants
Qui, ainsi que du cuir, des mains se font cherchant.
Quand, pressant à son sein d'une amour maternelle
Celui qui a le droit et la juste querelle,
Elle veut le sauver, l'autre qui n'est pas las
Viule, en son poursuivant, l'asile de ses bras.
Adonc se perd le lait, le suc de sa poitrine;
Puis, aux derniers abois se sa propre ruine,
Elle dit : « Vous avez, félons, ensanglanté
Le sein qui vous nourrit et qui vous a porté;
Or, vivez de venin, sanglante géniture,
Je n'ai plus que du sang pour votre nourriture!»
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Qui se cache? qui fuit devant les yeux de Dieu?
Vous, Caïns fugitifs, où trouverez-vous lieu?
Quand vous auriez les vents collés sous vos aisselles
Ou quand l'aube du jour vous prêterait ses ailes,
Les monts vous ouvriraient le plus profond rocher,
Quand la nuit tâcherait en sa nuit vous cacher,
Vous enceindre la mer, vous enlever la nue,
Vous ne fuirez de Dieu ni le doigt ni la vue.
Or voici les lions de torches acculés,
Les ours à nez percés, les loups emmuselés:
Tout s'élève contre eux : les beautés de Nature,
Que leur rage troubla de venin et d'ordure,
Se confrontent en mire et se lèvent contre eux.
«Pourquoi, dira le Feu, avez-vous de mes feux,
Qui n'étaient ordonnés qu'à l'usage de vie,
Fait des bourreaux, valets de votre tyrannie?»
L'air encore une fois contre eux se troublera,
Justice au juge saint, trouble, demandera,
Disant: «Pourquoi, tyrans et furieuses bestes,
M'empoisonnâtes-vous de charognes, de pestes,
Des corps de vos meurtris?» -«Pourquoi, diront les eaux,
Changeâtes-vous en sang l'argent de nos ruisseaux?»
Les monts, qui ont ridé le front à vos supplices:
«Pourquoi nous avez-vous rendu vos précipices?
-Pourquoi nous avez-vous, diront les arbres, faits
D'arbres délicieux, exécrables gibets?»
Nature, blanche, vive et belle de soi-même,
Présentera son front ridé, fâcheux et blême,
Aux peuples d'Italie et puis aux nations
Qui les ont enviés en leurs inventions,
Pour, de poison mêlé au milieu des viandes,
Tromper l'amère mort en ses liqueurs friandes,
Donner au meurtre faux le métier de nourrir,
Et sous les fleurs de vie embûcher le mourir.
Livre VII : Jugement
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