FABLES DE JEAN DE LA FONTAINE
A MONSEIGNEUR LE DAUPHIN
Je chante les héros dont Esope est le père,
Troupe de qui l'histoire, encor que mensongère,
Contient des vérités qui servent de leçons.
Tout parle en mon ouvrage, et même les poissons:
LE DAUPHIN |
Je me sers d'animaux pour instruire les hommes.
Illustre rejeton d'un prince aimé des cieux,
Sur qui le monde entier a maintenant les yeux,
Et qui faisant fléchir les plus superbes têtes,
Comptera désormais ses jours par ses conquêtes,
Quelque autre te dira d'une plus forte voix
Les faits de tes aïeux et les vertus des rois.
Je vais t'entretenir de moindres aventures,
Te tracer en ces vers de légères peintures;
Et si de t'agréer je n'emporte le prix,
J'aurai du moins l'honneur de l'avoir entrepris
L'AMOUR ET LA FOLIE
Tout est mystère dans l'amour,
Ses flèches, son carquois, son flambeau, son enfance:
Ce n'est pas l'ouvrage d'un jour
Que d'épuiser cette science.
Je ne prétends donc point tout expliquer ici:
Mon but est seulement de dire, à ma manière,
Comment l'aveugle que voici
(C'est un dieu), comment, dis-je, il perdit la lumière,
Quelle suite eut ce mal, qui peut-être est un bien;
J'en fais juge un amant, et ne décide rien.
La Folie et l'Amour jouaient un jour ensemble:
Celui-ci n'était pas encor privé des yeux.
Une dispute vint : l'Amour veut qu'on assemble
Là-dessus le conseil des dieux;
L'autre n'eut pas la patience;
Elle lui donne un coup si furieux,
Qu'il en perd la clarté des cieux.
Vénus en demande vengeance.
Femme et mère, il suffit pour juger de ses cris:
Les dieux en furent étourdis,
Et Jupiter, et Némésis,
Et les juges d'enfer, enfin toute la bande.
Elle représenta l'énormité du cas:
Son fils, sans un bâton, ne pouvait faire un pas:
Nulle peine n'était pour ce crime assez grande:
Le dommage devait être aussi réparé.
Quand on eut bien considéré
L'intérêt du public, celui de la partie,
Le résultat enfin de la suprême cour
Fut de condamner la Folie
A servir de guide à l'Amour.
LA COUR DU LION
Sa Majesté lionne un jour voulut connaître
De quelles nations le ciel l'avait fait maître.
Il manda donc par députés
Ses vassaux de toute nature,
Envoyant de tous les côtés
Une circulaire écriture,
Avec son sceau. L'écrit portait
Qu'un mois durant le roi tiendrait
Cour plénière, dont l'ouverture
Devait être un fort grand festin,
Suivi des tours de Fagotin.
Par ce trait de magnificence
Le prince à ses sujets étalait sa puissance.
En son Louvre il les invita.
Quel Louvre! un vrai charnier, dont l'odeur se porta
D'abord au nez des gens. L'ours boucha sa narine:
Il se fut bien passé de faire cette mine;
Sa grimace déplut: le monarque irrité
L'envoya chez Pluton faire le dégoûté.
Le singe approuva fort cette sévérité,
Et flatteur excessif, il loua la colère
Et la griffe du prince, et l'antre, et cette odeur:
Il n'était ambre, il n'était fleur
Qui ne fût ail au prix. Sa sotte flatterie
Eut un mauvais succès, et fut encor punie:
Ce Monseigneur du lion-là
Fut parent de Caligula.
Le renard étant proche: «Or cà, lui dit le sire,
Que sens-tu? dis le moi: parle sans déguiser.»
L'autre aussitôt de s'excuser,
Alléguant un grand rhume: il ne pouvait que dire
Sans odorat; bref, il s'en tire.
Ceci vous sert d'enseignement:
Ne soyez à la cour, si vous voulez y plaire,
Ni fade adulateur, ni parleur trop sincère,
Et tâchez quelquefois de répondre en Normand.
LE LOUP ET L'AGNEAU
La raison du plus fort est toujours la meilleure:
Nous l'allons montrer tout à l'heure.
Un agneau se désaltérait
Dans le courant d'une onde pure.
Un loup survient à jeun, qui cherchait aventure,
Et que la faim en ces lieux attirait.
"Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage?
Dit cet animal plein de rage:
Tu seras châtié de ta témérité.
-Sire, répond l'agneau, que Votre Majesté
Ne se mette pas en colère ;
Mais plutôt qu'elle considère
Que je me vas désaltérant
Dans le courant,
Plus de vingt pas au-dessous d'Elle;
Et que par conséquent, en aucune façon,
Je ne puis troubler sa boisson.
- Tu la troubles, reprit cette bête cruelle,
Et je sais que de moi tu médis l'an passé.
-Comment l'aurais-je fait si je n'étais pas né?
Reprit l'agneau ; je tette encor ma mère
-Si ce n'est toi, c'est donc ton frère.
- Je n'en ai point. -C'est donc quelqu'un des tiens:
Car vous ne m'épargnez guère,
Vous, vos bergers et vos chiens.
On me l'a dit : il faut que je me venge."
Là-dessus, au fond des forêts
Le loup l'emporte et puis le mange,
Sans autre forme de procès.
LA POULE AUX OEUFS D'OR
L'avarice perd tout en voulant tout gagner.
Je ne veux, pour le témoigner,
Que celui dont la poule, à ce que dit la fable,
Pondait tous les jours un oeuf d'or.
Il crut que dans son corps elle avait un trésor:
Il la tua, l'ouvrit, et la trouva semblable
A celles dont les oeufs ne lui rapportaient rien,
S'étant lui-même ôté le plus beau de son bien.
Belle leçon pour les gens chiches!
Pendant ces derniers temps, combien en a-t-on vus,
Qui du soir au matin sont pauvres devenus,
Pour vouloir trop tôt être riches!
Hiç yorum yok:
Yorum Gönder