EXTRAIT DE LA PIECE "OEDIPE ROI" DE SOPHOCLE
A la fin de la pièce, un messager raconte ce qui est arrivé à Oedipe quand il a compris la situation
Il fait le tour de notre groupe; il va, il vient, nous suppliant de lui fournir une arme, nous demandant où il pourra trouver "l'épouse qui n'est pas son épouse, mais qui fut un champ maternel à la fois pour lui et pour ses enfants". Sur quoi un dieu sans doute dirige sa fureur, car ce n'est certes aucun de ceux qui l'entouraient avec moi. Subitement, il poussa un cri terrible et comme mené par un guide, le voilà qui se précipite sur les deux vantaux de la porte, fait fléchir le verrou qui saute de la gâche, se rue enfin au millieu de la pièce... La femme est pendue! Elle est là, devant nous, étranglée par le noeud qui se balance au toit... Le malheureux à ce spectacle pousse un gémissement affreux. Il détache la corde qui pend, et le pauvre corps tombe à terre... C'est un spectacle alors atroce à voir. Arrachant les agrafes d'or qui servaient à draper ses vêtements sur elle, il les lève en l'air et il se met à en frapper ses deux yeux dans leurs orbites. "Ainsi ne verront-ils plus, dit-il, ni le mal que j'ai subi, ni celui que j'ai causé; ainsi les ténèbres leur défendront-elles de voir désormais ceux que je n'eusse pas dû voir, et de connaitre ceux que, malgré tout j'eusse voulu connaitre!". Et tout en clamant ces mots, sans répit, les bras levés, il se frappait les yeux, et leurs globes en sang coulaient sur sa barbe. Ce n'était pas un suintement de gouttes rouges, mais une noire averse de grêle et de sang, inondant son visage!... Le désastre a éclaté, non par sa seule faute, mais par le fait de tous deux à la fois: c'est le commun désastre de la femme et de l'homme. Leur bonheur d'autrefois était hier encore un bonheur au sens vrai du mot: aujourd'hui au contraire, sanglots, désastre, mort et ignomie, toute tristesse ayant un nom se rencontre ici désormais: pas une qui manque à l'appel!
Sophocle, Oedipe Roi, Vème siècle avant J.C.
Traduction Paul Mazon, Les Belles Lettres, 1962
Hiç yorum yok:
Yorum Gönder