Claude Chabrol est né à Paris, le 24 juin 1930. C'est un fils de pharmacien et il dévore la Comtesse de Ségur. Il débute dans le cinéma dés l'âge de 12 ans comme projectionniste dans un garage d'un petit village de la Creuse.
Après ses études secondaires, il se lance dans des études de Droit, puis une licence de lettres et des études de pharmacie. Déjà rusé, il gagne son argent de poche en écrivant de fausses dédicaces d ‘Hemingway et de Faulkner et profite du snobisme parisien pour en tirer un bon prix.
Claude Chabrol entre aux "Cahiers du Cinéma" en 1953, ses amis François Truffaut et Jacques Rivette y font déjà leurs premières armes depuis quelques mois. C'est d'ailleurs grâce à eux, rencontrés à la Cinémathèque de Langlois et dans les ciné-clubs du Quartier Latin, que Chabrol a pu être introduit auprès d'André Bazin et Jacques Doniol-Valcroze, fondateurs de la toute jeune revue de cinéma à couverture jaune.
Dès ses débuts il défend la "politique des auteurs", pas encore strictement définie, mais déjà présente en puissance. A propos du film Chantons sous la pluie de Kelly et Donen, Claude Chabrol écrit : "il s'agit bien, cette fois, d'un film d'auteur, ce qui est rare dans ce genre de production". Le jeune critique cherche alors à convaincre ses lecteurs qu'à l'intérieur même du carcan des studios hollywoodiens, un réalisateur, malgré les règles et les conventions qui régissent les productions, peut imposer son style pour ainsi se positionner en véritable auteur de film
Chabrol reprendra ces idées quelques numéros plus tard pour partir à la défense d'Alfred Hitchcock, considéré alors par la critique comme simple technicien efficace et non comme un auteur à l'univers passionnant.
En 1957, il publie avec Éric Rohmer un livre sur Alfred Hitchcock.
Il participe ainsi au lancement de la Nouvelle Vague française en étant critique aux Cahiers du cinéma.
Ses premiers films
Il se marie très jeune à Agnès, une riche héritière ce qui lui permet de fonder sa société de production. Il produit, pour démarrer, un court métrage de Jacques Rivette, "Le Coup du berger" (1956) avec Jean-Claude Brialy et François Truffaut, dont il est aussi scénariste. Il peut réaliser ses premiers films.
"Le beau Serge" en 1959 avec Jean-Claude Brialy, un drame campagnard qui dénote avec ses futurs thèmes de prédilection, sera son coup d'essai en tant que réalisateur, d'emblée couronné par un succès commercial conséquent.
"Les Cousins" qui sort la même année est une crépusculaire étude de mœurs dans un Paris partagé entre existentialisme et misère.
Il montre déjà son originalité et son regard à la fois féroce et plein d'humour.
L'année suivante, il est mal compris avec "Les bonnes femmes" où l'on trouve une vision acide des femmes. La bêtise de ces femmes pathétiques effraie le public qui se sent visé et méprisé.
Claude Chabrol divorce pour épouser en 1964 la comédienne Stéphane Audran, qui sera très souvent son interprète.
La maturité
La bêtise va devenir un des thèmes clés de l'œuvre de Chabrol qui se dit fascinée par elle : "la bêtise est infiniment plus fascinante que l'intelligence. L'intelligence, elle, a ses limites tandis que la bêtise n'en a pas. Voir un être profondément bête, c'est très enrichissant et l'on a pas à le mépriser pour autant." "Les Godelureaux", l'année suivante, ne rencontre pas plus de succès. Il se lance alors dans la réalisation de films d'espionnage souvent parodiques et toujours plein d'humour, mais boudés par la critique.
Il renoue avec le succès à partir de 1968 avec une série de films : "Les Biches", "La femme infidèle" (1969), "Que la bête meure" (1969), "Le boucher" (1970). Claude Chabrol aime s'entourer de ses acteurs fétiches et on y retrouve Michel Bouquet, Jean Yanne et toujours et encore sa femme, Stephane Audran.
Il poursuit son analyse décapante des mœurs de la petite bourgeoisie avec "Docteur Popaul" (1972) ou "Violette Nozière" (1978) où apparaît la jeune Isabelle Huppert qui deviendra l'égérie du cinéma de Claude Chabrol dans les années 80-90.
En 1982, il adapte un roman de Simenon, "Les fantômes du chapelier", véritable tableau des mœurs d'une petite ville de province. Le film est empreint d'une violence inquiètante, retenue et intériorisée que l'on retrouvera dans "Masques" en 1987.
Les années 1990 sont peut être plus que jamais les années Chabrol avec des chefs d'œuvre comme "La cérémonie" (1995) servie par les interprétations époustouflantes de Sandrine Bonnaire et d'Isabelle Huppert, inquiétantes dans leur folie ordinaire, ou encore "L'enfer" (1994) avec la très belle et troublante Emmanuelle Béart et le très torturé François Cluzet.
Le style de Chabrol
A l'inverse d'un Resnais mûrissant longuement chaque œuvre, Claude Chabrol a tourné beaucoup de films, plus de cinquante, rejoignant ainsi Jean-Luc Godard. "Rien ne va plus" est son cinquantième film en 1997.
Bien sûr certains de ces films sont des films alimentaires fait pour renflouer sa société de production (et payer ses impôts, selon ses propres aveux !) : ainsi la série des “Tigre”, sans compter des séries pour la télévision.
Mais il sait aussi prendre des risques comme par exemple en 1980, en se lançant dans l'adaptation du "Cheval d'orgueil", le roman breton de Pierre Jakez-Elias, avec des comédiens peu connus du grand public.
Claude Chabrol a été marié avec Stéphane Audran de 1964 à 1980. Son épouse actuelle, la troisième, est Aurore Paquiss, actrice et assistante de production.
Filmographie de Claude Chabrol
1959 : Le beau Serge
1959 : Les Cousins
1959 : À double tour
1960 : Les Bonnes femmes
1961 : Les Godelureaux
1962 : Les sept Péchés capitaux ( sketch L'avarice)
1962 : L'Œil du Malin
1963 : Ophelia
1963 : Landru
1964 : Les plus belles Escroqueries du monde (sketch L'homme qui vendit la Tour Eiffel))
1964 : Le Tigre aime la chair fraîche
1965 : Paris vu par...(sketch La Muette)
1965 : Marie-Chantal contre docteur Kha
1965 : Le Tigre se parfume à la dynamite
1966 : La Ligne de démarcation
1967 : Le Scandale
1967 : La Route de Corinthe
1968 : Les Biches
1969 : La Femme infidèle
1969 : Que la bête meure
1970 : Le Boucher
1970 : La Rupture
1971 : Juste avant la nuit
1971 : La Décade prodigieuse
1972 : Docteur Popaul
1973 : Les Noces rouges
1974 : Nada
1975 : Une Partie de plaisir
1975 : Les Innocents aux mains sales
1976 : Les Magiciens
1976 : Folies bourgeoises
1977 : Alice ou la Dernière Fugue
1978 : Les Liens de sang
1978 : Violette Nozière
1980 : Le Cheval d'orgueil
1982 : Les Fantômes du chapelier
1984 : Le Sang des autres
1985 : Poulet au vinaigre
1986 : Inspecteur Lavardin
1987 : Masques
1988 : Le Cri du hibou (d'après un roman de Patricia Highsmith)
1988 : Une Affaire de femmes
1990 : Jours tranquilles à Clichy
1990 : Docteur M
1991 : Madame Bovary
1992 : Betty
1993 : L'Œil de Vichy
1994 : L'Enfer
1995 : La Cérémonie
1997 : Rien ne va plus
1999 : Au coeur du mensonge
2000 : Merci pour le chocolat ( prix Louis-Delluc)
2003 : La Fleur du mal
2004 : La Demoiselle d'Honneur
2006 : L'Ivresse du pouvoir
2007 : La Fille coupée en deux
2009 : Bellamy
Madame Bovary, de Claude Chabrol, sorti en 1991, durée 140 mn, adaptation assez fidèle du roman homonyme de Gustave Flaubert►
avec Isabelle Huppert (Emma Bovary), Jean-Francois Balmer (Charles Bovary), Christophe Malavoy (Rodolphe Boulanger), Lucas Belvaux (Léon Dupuis), Jean Yanne (Homais, le pharmacien), Christiane Minazzoli (Mme Lefrancois), François Périer (Le narrateur), Florent Gibassier (Hippolyte), Jean-Claude Bouillaud (Rouault), François Maistre, Thomas Chabrol, Jean-Louis Maury, Henri Attal.
Isabelle Huppert dans le rôle de "Madame Bovary" |
La naissance d’une petite fille ne lui procure pas plus le bonheur espéré et Emma se laisse séduire par les regards langoureux du jeune Léon. Mais c'est un riche propriétaire, Rodolphe Boulanger, qui en fait sa maîtresse et elle se jette avec fougue dans l’amour adultère. Elle pousse par ailleurs son mari à accomplir une opération chirurgicale inédite d’un pied-bot mais celle-ci échoue.
Le mépris d’Emma pour son mari est alors sans appel et elle échafaude un plan pour fuir avec son amant. Ce projet romanesque ne plaît guère ou effraye celui-ci, qui l’abandonne. Désespérée, elle sort de sa léthargie grâce à Léon, retrouvé par hasard à Rouen. Cette deuxième liaison la pousse à contracter dette sur dette auprès d’un marchand faussement compatissant, Lheureux. Celui-ci, pour recouvrer son argent, menace de la faire saisir mais Emma se suicide avant une telle déchéance. Charles assiste impuissant à son agonie et à son propre déclin. Il meurt de chagrin, non sans avoir pardonné.
Lorsque Chabrol décide d’adapter l’un des chefs-d’œuvre de la littérature française, il lance non seulement un défi au lecteur-spectateur qui croit connaître tout du roman, mais encore il réinterprète Flaubert tout en lui vouant un regard naturaliste. L’étonnante modernité, qui en 1857 caractérisait Madame Bovary par rapport à la production romanesque antérieure, touche plus que jamais notre société. Chabrol fait de ce livre une étude analytique des mœurs de province et reconstruit un bovarysme ironique et plus réaliste que jamais.
Une majeure partie de la production du cinéaste se fonde sur la critique d’une société française qui étouffe et qui se meurt dans la jalousie, dans l’intérêt, dans les manipulations affectives et familiales. Le cinéma de Chabrol, chargé d’atmosphères lourdes et oppressantes, rend le roman de Flaubert encore plus moderne. Madame Bovary à l’écran reste une femme d’aujourd’hui qui fuit la médiocrité et la monotonie quotidienne de la vie au foyer sans travail.
Claude Chabrol développe une empathie ironique sur un tempérament féminin qui se perd entre ses pulsions et ses intérêts. Tout le récit filmique est vu sous l’angle de la dérision : l’héroïne meurt parce qu’elle a des dettes. Ainsi, le cinéaste respecte l’œuvre initiale. Madame Bovary représente non seulement l’auteur, évoquons la fameuse phrase ironique de l’écrivain « Madame Bovary, c’est moi », mais elle s’adapte implicitement aux intentions du réalisateur. Le film de Chabrol interprète la modernité du roman, il la met au goût du jour et surenchérit l’ironie flaubertienne. Emma à l’écran sombre entre le pragmatisme et le romantisme.
Les descriptions de Flaubert sont d’une telle acuité visuelle que le réalisateur n’a plus qu’à cueillir les mots pour les mettre en mouvement. Le réalisateur fait des grands plans d’ensemble lorsque Emma ressent ce que Flaubert a décrit.
L’héroïne n’est pas intéressée par la soirée mais par ce que les autres disent : « Pour madame Bovary, ce bal est la révélation du luxe, de ce qui échappe, de ce qui appartient aux autres. » Cet univers la fascine et l’attriste en même temps et Isabelle Huppert rend merveilleusement bien cette ambiguïté.
Lorsque Emma a l’impression d’appartenir à cet univers, les plans s’élargissent dévoilant la noblesse, sa vie fastueuse et outrancière : on brise les fenêtres lorsqu’il fait trop chaud. Quand elle se met à danser, le réalisateur filme le visage d’Emma et Isabelle Huppert devient radieuse. Chabrol traduit cette ivresse par un gros plan sur les robes qui tournoient avec le rythme de la valse.
Madame Bovary, sans être une criminelle, demeure une variation de Violette Nozière, jouée d’ailleurs par la même actrice. Chabrol affronte le cœur de l’horreur dirigée par la passion : « cette part obscure de l’être humain, liée au sexe et à la mort, relève de l’inexplicable. Tel est aussi le problème du Mal, qui pour certains théologiens, se traduit par la déroute et l’angoisse de l’esprit devant le non-sens. »
Madame Bovary fut l’objet de nombreuses adaptations au cinéma, les versions les plus connues sont celles de Jean Renoir (Madame Bovary, 1933) , de Vincente Minnelli Madame Bovary, 1949 et de Claude Barma en 1953, pour la télévision.
Celle de Claude Chabrol restera à la fois parmi les plus personnelles et les plus respectueuses de l'esprit de Flaubert.
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