UNE VOCATION DE TERRIEN
A la fin de la guerre (1914-1918) les prix ont commencé de monter. Le notaire vient de conseiller au vieux Mazureau, un paysan poitevin, d'en profiter pour vendre ses champs et placer son argent. Il n'a rien répondu, car, s'il tient à sa terre son fils a été tué à Verdun et lui se fait vieux.
Avec Bernard, son petit-fils, qui a 16 ans il regagne sa ferme.
Quand ils eurent dépassé les dernières maisons, ils laissèrent la route et prirent un petit chemin traversier qui coupait droit, au millieu de la plaine, vers Fougeray.
On était en février, et le froid était net et piquant. Sous le ciel bas, dans cette grande étendue plane et sans arbres, un vent cruel bondissait et faisait front. Mazureau n'y prenait point garde, mais le petit geignait de temps en temps:
-Le vent coupe!
Il s'arrêta un instant pour rabattre les oreillères de sa casquette. Le grand-père, ne le sentant plus à côté de lui, se retourna et son regard, vague, se posa sur l'enfant.
-Que fais-tu donc Bernard?
-C'est que j'ai les oreilles glacées... Et puis le bout du nez aussi.
Mais le grand-père n'entendait pas. Depuis les paroles du notaire toute sa pensée était en travail.
-Mauvais temps, disait l'enfant; la terre n'est pas gelée, cependant rien ne pousse. Il faudrait un peu de soleil à ce moment de l'année, et de l'eau, n'est-ce-pas, pour les emblavures?
-Oui! de l'eau... de la pluie douce... Dis--moi, Bernard?
-Quoi donc, grand-père?
Le grand-père n'acheva sa pensée que vingt pas plus loin.
-Dis-moi, Bernard, t'en retournerais-tu à la ville avec ta mère si elle voulait t'emmener?
-Non!
-Si elle veut, cependant...
-Elle ne m'emmenera pas! Je ne veux pas, moi, Ma place est ici; c'est ici qu'il y a du travail pour moi
-Mais elle parlait de te mettre à l'apprentissage, ta mère...
-Je n'irai pas! Mon père est mort à la guerre... J'ai des droits!
-Bien dit, mon petit gars!
-Je veux rester chez nous! J'aime la terre, moi; je veux des champs... Plus tard, j'acheterai de la terre au lieu d'en vendre.
-Bien dit, Mazureau!
Le grand-père regarda avec une orgueilleuse tendresse cet enfant qu'il connaisait à peine, trois ans plus tôt. Sa bru le lui avait confié au début de la guerre, quand elle était entrée comme ouvrière dans une usine de Nantes et, tout de suite le petit citadin anémique s'était épanoui. Un mois après son arrivée, le fouet en main, des socques boueux aux pieds il poussait les bêtes avec le dendinement d'un vieux paysan.
Il avait retrouvé, d'instinct, les gestes séculaires de sa race et en son âme d'enfant, quelques choses d'âpre avait surgi qui était le tenace amour de la terre, de la terre ingrate, buveuse de sueur, buveuse de sang, de la terre maigre où l'outil s'émousse, de l'argile qui tire les pieds, de la terre dure aux hommes, mais où passe le vent des libres espaces.
Oui, celui-là était un vrai Mazureau un gars solide, rusé, actif, un peu taciturne. Il répondait mal aux gâteries de sa tante Evelyne, si douce et si maternelle. On le voyait point jouér avec les jeunes garçons de son age; il préfrait à tout autre compagnie celle de son grand-père et celle de son chien Flambeau, une grande bête hargneuse, aux yeux féroces. Quand il avait appris la mort de son père, il avait pleuré, mais raisonnablement.
-Bien dit, Mazureau!
Ernest Pérochon, La Parcelle 32
Hiç yorum yok:
Yorum Gönder