LA QUERELLE
DES ANCIENS ET DES MODERNES
Dès le début du XVIIème siècle apparaissent des signes de l'esprit moderne qui va provoquer, à partir de 1687, une importante querelle littéraire. Sous Louis XIII, les écrivains indépendants revendiquent la liberté totale de leur inspiration et Boisrobert, comparant Homère à un chanteur de carrefour, trouve les anciens "sans goût et sans délicatesse".
Se plaçant l'un et l'autre au point de vue scientifique, Descartes et Pascal ont substitué au respect stérile de l'autorité des anciens l'idée de la souveraineté de la raison, dont les conquêtes successives justifient la croyance au progrès. Pascal compare toute la suite des hommes à un même homme qui subsiste toujours et apprend continuellement: "Ceux que nous appelons anciens étaient véritablement nouveaux en toutes choses, et formaient l'enfance de l'homme proprement; et comme nous avons joint à leurs connaissances l'expérience des siècles qui les ont survis, c'est en nous que l'on peut trouver cette antiquité que nous révérons dans les autres" (Traité du Vide). Du progrès dans les sciences, on allait tirer l'idée du progrès artistique.
Par réaction contre l'abus du merveilleux païen, des poètes puisèrent leurs sujets dans la Bible et l'histoire religieuse, et l'on en vint à proclamer qu'une littérature reposant sur les vérités du christianisme devait être supérieure à toute littérature païenne. C'est Desmartes de Saint-Sorlin qui, dans ses préfaces de Clovis, des Délices de l'Esprit, de Marie-Magdeleine et dans sa Défense du Poème héroïque, affirma le plus vivement la valeur poétique de l'Ecriture, la supériorité du merveilleux chrétien sur le merveilleux païen, la prééminence des modernes sur les anciens. C'était, plus d'un siècle avant Chateaubriand, la thèse du Génie du christianisme. Mais Boileau, Corneille, Saint-Evremond protestèrent contre l'impiété qu'il y aurait à égayer par des ornements les mystères terribles du christianisme et contre l'emploi d'un merveilleux moins charmant que le merveilleux païen. Avant de mourir, Desmarets confiait à Charles Perrault le soin de libérer la littéraire de l'influence antique.
Vers 1680, les "Modernes" se font plus entreprenants. L'érudit Charpentier rédige, pour les tableaux de Versailles, des inscriptions en français: d'où une querelle, où il proclame "l'excelence de la langue française" et la supériorité de l'art moderne. Un neveu de Corneille, Fontenelle, attaque les anciens; à son tour, Saint-Evremond conteste la nécessité de les imiter éternellement. Mais ce sont les frères Perrault, brouillés de longue date avec Boileau qui vont pousser à fond l'offensive contre les anciens.
A l'Académie, le 27 janvier 1687, Charles Perrault présente le Siècle de Louis le Grand, poème où il critique les anciens, loue les contemporains et proclame la supériorité du siècle de Louis XIV sur celui d'Auguste. Soutenu par les académiciens, il est attaqué par les partisans des anciens.
Boileau s'indigne dans deux épigrammes injurieuses: La Fontaine réplique plus sérieusement dans l'Epitre à Huet; l'année suivante, La Bruyère défend les anciens dans son Discours sur Théophraste et railles les modernes.
Mais les "Modernes", qui disposent d'un journal, Le Mercure Galant, poussent à fond leur attaque. Fontenelle reprend la thèse du progrès dans sa Digression sur les Anciens et les Modernes: son éléction à l'Académie est saluée comme une victoire. Quant à Perrault, il ressemble ses arguments dans ses Parallèles des Anciens et des Modernes.
En 1693, Boileau publie l'Ode pindarique sur la prise de Namur, précédée d'un Discours où il expose les mérites des anciens et sa doctrine de l'imitation; l'année suivante, il écrit la satire X contre les Femmes, qui soutiennent les modernes; Perrault lui répond par une Apologie des Femmes. En 1694 enfin, dans ses Réflexions sur Longin, Boileau se tire d'une situation délicate en invoquant l'épreuve des siècles: il admire les modernes, ses amis, mais évite de les comparer aux anciens.
La querelle s'apaisa grâce au grand Arnauld, qui réconcilia les deux adversaires: dans une Lettre à Perrault, Boileau se montra moins intransigeant, et Perrault moins acerbe dans le Dialogue V des Parallèles.
Vingt ans plus tard, le conflit renaissait à propos d'Homère, Mme Dacier, savante helléniste, avait publié une traduction en prose des vingt-quatre chants de l'Iliade. Houdart de la Motte, qui ne savait pas le grec, tira de cette traduction une Iliade en vers en douze chants. Mme Dacier protesta dans un traité des Causes de la corruption du goût; La Motte répliqua modérément dans ses Réflexions sur la critique, soutenu par des érudits comme les abbés de Pons, Terrasson et d'Aubignac, qui doutait même de l'existence d'Homère. C'est Fénelon qui pacifia les esprits dans sa Lettre à l'Académie, où il loue les modernes tout en admirant vivement les anciens.
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