DEUX LEÇONS DE SIMPLICITE
Mme de Maintenon |
I
Il y a longtemps que je vous parle de cet orgueil mal placé que je tâche de détruire à Saint-Cyr, et cependant je l'y trouve encore. Je ne saurais comprendre ce qu'a fait une de vous. On l'envoie balayer, et, parce qu'on lui manque ce qu'elle doit faire, elle s'en choque et dit: "Une servante ne doit pas commender; c'est à nous de faire ce que nous voulons". Peut-on voir une telle insolence?... Quoi! parce qu'on vous dit: "Vous balaierez là", ou "vous ferez cela", vous êtes choquée! Mais, moi, si on m'envoyait aider à une servante, la première chose que je ferais serait de demander ce qu'elle veut que je fasse, car certainement je ne saurais par où commencer. Il faut qu'il y ait bien du travers dans votre tête. Et où en serions-nous si c'était un affront de s'instruire de gens au-dessous de soi! On le fait tous les jours, et personne ne s'avise de s'en croire déshonoré!On dit à une autre de porter du bois et de balayer; elle répond qu'elle n'est pas une servante. Non, certainement, vous ne l'êtes pas; mais je souhaite qu'au sortir d'ici vous trouviez une chambre à balayer; vous serez trop heureuse, et vous saurez alors que d'autres que des servantes balayent. Je me souviens qu'allant un jour chez Mme de Montchevreuil qui attendait compagnie, elle avait bien envie que sa chambre fût propre, et ne pouvait pas la nettoyer elle-même parce qu'elle était malade, ni la faire faire par ses gens qu'elle n'avait pas alors; je me mis à frotter de toutes mes forces pour la rendre nette, et je ne trouvais point cela au-dessous de moi. J'aurais beau frotter votre plancher, aller quérir du bois ou laver la vaisselle, je ne me croirais point rabaissée pour cela. Que tout le monde vienne à Saint-Cyr, et qu'on vous trouve toutes le balai à la main, on ne le trouvera pas étrange et cela ne vous déshonerera pas...
II
Mme de Maintenon a fait un jour aux élèves de Saint-Cyr une causerie sue l'esprit mondain. On lui rapporte leurs réflexions....Une maitresse dit que les demoiselles ne pouvaient comprendre qu'elles pussent être réduites à se servir d'un cheval et encore moins d'un âne pour faire leurs voyages et qu'elles avaient trouvé fort étrange qu'un père eût amené sa fille en croupe derrière lui sur son cheval. "Trop heureuses d'en avoir pour y monter! Elles courront risque d'aller souvent à pied, n'ayant pas les moyens d'avoir un cheval. Quelquefois même, ceux qui en ont vont à pied pour le ménager, comme nous voyons les pauvres aller nu-pieds, tenant leurs souliers dans leurs mains, de peur de les user. Quelquefois, chez soi, on met des sabots, pour épargner les souliers, qu'on ne met que pour recevoir la compagnie. Je me souviens que j'en ai bien porté dans ma jeunesse. J'étais chez une de mes tantes, assez riche pour avoir un carrosse à six chevaux, un autre pour elle-même, une litière, car elle était assez malsaine pour en avoir besoin. Cependant, quoiqu'elle ne fût pas pauvre, je n'avais dans la maison que des sabots et on ne me donnait des souliers que lorsqu'il venait compagnie. Je me souviens encore que ma cousine et moi, qui étions à peu près du même âge, nous passions une partie du jour à garder les dindons de ma tante. On nous plaquait un masque sur le nez, car on avait peur que nous ne hâlassions; on nous mettait au bras un petit panier où était notre déjeuner, avec un petit livret des quatrins de Pibrac, dont on nous donnait quelques pages à apprendre par jour; avec cela, on nous mettait une grande gaule dans la main et on nous chargeait d'empêcher que les dindons n'allassent où ils ne devaient point aller. C'est ce qui me fait vous dire que je souhaiterais que vous fussiez toutes en état d'avoir des dindons à garder, plusieurs d'entre vous sont assez pauvres pour n'en pas avoir".
Mme De Maintenon, A la chasse jaune (1701 et 1707)
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