LETTRES DE MADAME DE SEVIGNE
De 1670 à 1680, un énorme scandale agite Paris; il s'agit de l'Affaire des poisons. La marquise de Brinvilliers, accusée de meurtre, révèle sous la torture les détails de cette affaire, qui touche des personnages imprtants de la cour. Trente-quatre condamnations à mort sont prononcées et exécutées, notamment celle de la Brinvilliers que nous raconte ci-dessous madame de Sévigné.
Enfin c'en est fait, la Brinvilliers est en l'air. Son pauvre petit corps a été jeté, après l'exécution, dans un fort grand feu, et les cendres au vent, de sorte que nous la respirerons, et par la communication des petits esprits, il nous prendra quelque humeur empoisonnante dont nous serons tous étonnés. Elle fut jugée dès hier. Ce matin, on lui a lu son arrêt, qui était de faire amende honorable à Notre-Dame et d'avoir la tête coupée, son corps brûlé, les cendres au vent. On l'a présentée à la question, elle a dit qu'elle n'en était pas besoin, et qu'elle dirait tout. En effet, jusqu'à cinq heures du soir elle a conté sa vie, encore plus épouvantable qu'on ne le pensait. Elle a empoisonné dix fois de suite son père (elle ne pouvait en venir à bout), ses frères et plusieurs autres. Et toujours l'amour et les confidences mêlés partout. Elle n'a rien dit contre Pennautier. Après cette confession, on n'a pas laissé de lui donner la question dès le matin, ordinaire et extraordinaire; elle n'en a pas dit davantage. Elle a demandé à parler à Monsieur le Procureur général; elle a été une heure avec lui. On ne sait point encore le sujet de cette conversation. A six heures on l'a menée, nue en chemise et la corde au cou, à Notre-Dame faire l'amende honorable. Et puis on l'a remise dans le même tombeau, où je l'ai vue, jetée à reculons sur de la paille, avec une cornette basse et sa chemise, un docteur auprès d'elle, le bourreau de l'autre côté. En vérité, cela m'a fait frémir. Ceux qui ont vu l'exécution disent qu'elle a monté sur l'échafaud avec bien du courage. Pour moi, j'étais sur le pont de Notre-Dame avec la bonne d'Escars; jamais il ne s'est vu tant de monde, ni Paris si ému ni si attentif. Et demandez-moi ce qu'on a vu, car pour moi je n'ai vu qu'une cornette, mais enfin ce jour était consacré à cette tragédie. J'en saurai demain davantage, et cela vous reviendra.
Lettre à madame Grignan (17 juillet 1676)
Encore un petit mot de Brinvilles. Elle est morte comme elle a vécu, c'est-à-dire résolument. Elle entra dans le lieu où l'on devait lui donner la question, et voyant trois seaux d'eau: "C'est assurément pour me noyer, car de la taille dont je suis, on ne prétend pas que je boive tout cela". Elle écouta son arrêt, dès le matin, sans frayeur ni sans faiblesse; et sur la fin, elle le fit recommencer, disant que ce tomberau l'avait frappée d'abord, et qu'elle en avait perdu l'attention pour le reste. Elle dit à son confesseur par le chemin, de faire mettre le bourreau devant elle, "afin de ne point voir, dit-elle, ce coquin de Desgrez qui m'a prise". Il était à cheval devant le tombereau. Son confesseur la reprit de ce sentiment; elle dit: "Ah, mon Dieu! Je vous en demande pardon; qu'on me laisse donc cette étrange vue". Et monta seule et nu-pieds sur l'échelle et sur l'échafaud, et fut un quart d'heure mirodée, rasée, redressée, par le bourreau; ce fut un grand murmure et une grande cruauté. Le lendemain on cherchait ses os, parce que le peuple disait qu'elle était sainte.
Lettre à madame de Grignan (22 juillet 1676)
Madame de Sévigné est profondément chrétienne; elle pratique l'examen de conscience et les lectures pieuses. Dans cette lettre à sa fille, abordant le grand sujet des fins dernières de l'homme, sans nuire aucunement à sa gravité, et lui imprime cependant ce tour vif et primesautier qui lui est propre. Et comme elle est humaine dans son humilité sans raideur.
A Paris, mercredi 16 mars 1672
Vous me demandez, ma chère enfant, si j'aime toujours bien la vie. Je vous avoue que j'y trouve des chagrins cuisants; mais je suis encore plus dégoutée de la mort: je me trouve si malheureuse d'avoir à finir tout ceci par elle, que si je pouvais retourner en arrière, je ne demanderais pas mieux. Je me trouve dans un engagement qui m'embarrasse: je suis embarquée dans la vie sans mon consentement; il faut que j'en sorte, cela m'assomme; et comment en sortirai-je? Par où? Par quelle porte? Quand sera-ce? En quelle disposition? Souffrirai-je mille et mille douleurs, qui me feront mourir désespérée? Aurai-je un trasport au cerveau? Mourrai-je d'un accident? Comment serai-je avec Dieu? Qu'aurai-je à Lui présenter? La crainte, la nécessité feront-elles mon retour vers Lui? N'aurai-je aucun autre sentiment que celui de la peur? Que puis-je espérer? Suis-je digne du paradis? Suis-je digne de l'enfer? Quelle alternative! Quel embarras! Rien n'est si fou que de mettre son salut dans l'incertitude; mais rien n'est si naturel, et la sotte vie que je mène est la chose du monde la plus aisée à comprendre. Je m'abime dans ces pensées, et je trouve la mort si terrible que je haïs plus la vie parce qu'elle m'y mène, que par les épines qui s'y rencontrent. Vous me direz que je veux vivre éternellement. Point du tout; mais si on m'avait demandé mon avis, j'aurais bien aimé à mourir entre les bras de ma nourrice: cela m'aurait ôté bien des ennuis et m'aurait donné le Ciel bien sûrement et bien aisément.Une représentation d'Esther par les demoiselles de Saint-Cyr était un événement mondain plus encore que théâtrale: nous le voyons en lisant cette lettre adressée à madame de Grignan. Certes, madame de Sévigné a pris un vif plaisir à la pièce et la juge avec finesse, mais ce qui compte avant tout pour elle, c'est d'avoir donné publiquement une bonne impression d'elle-même et d'avoir mérité l'attention du roi.
A Paris ce lundi 21 février 1689
Je fis ma cour l'autre jour à Saint-Cyr, plus agréablement que je n'eusse jamais pensé. Nous y allâmes samedi, madame de Coulanges, madame de Bagnols, l'abbé Têtu et moi. Nous trouvâmes nos places gardées. Un officier dit à madame de Coulanges que madame de Maintenon lui faisait garder un siège auprès d'elle: vous voyez quel honneur. "Pour vous madame, me dit-il, vous pouvez choisir". Je me mis avec madame de Bagnols au second banc derrière les duchesses. Le maréchal de Bellefonds vint se mettre, par choix, à mon côté droit, et devant c'étaient mesdames 'Auvergne, de Coislin, de Suley.Nous écoutâmes, le maréchal et moi cette tragédie avec une attention qui fut remarquée, et de certaines louanges sourdes et bien placées qui n'étaient peut-être pas sous les fontanges de toutes les dames. Je ne puis vous dire l'excès de l'agrément de cette pièce: c'est une chose qui n'est pas aisée à représenter, et qui ne sera jamais imitée; c'est un rapport de la musique, des vers, des chants, des personnes, si parfait et si complet, qu'on n'y souhaite rien, les filles qui font des rois et des personnages sont faites exprès: on est attentif et on n'a point d'autres peine que celle de voir finir une si aimable pièce; tout y est simple, tout y est innocent, tout y est sublime et touchant: cette fidélité de l'histoire sainte donne du respect; tous les chants convenables aux paroles qui sont tirées des Psaumes ou de la Sagesse, et mis dans le sujet, sont d'une beauté qu'on ne soutient pas sans larmes: la mesure de l'approbation qu'on donne à cette pièce, c'était du goût et de l'attention.
J'en fus charmée, et le maréchal aussi, qui sortit de la place pour aller dire au Roi combien il était content, et qu'il était auprès d'une dame qui était bien digne d'avoir vu Esther. Le Roi vint vers nos places, et après avoir tourné, il s'adressa à moi, et me dit: "Madame, je suis assuré que vous avez été contente". Moi, sans m'étonner, je répondis: "Sire, je suis charmée ce que je sens est au dessus des paroles". Le Roi me dit: " Racine a bien de l'esprit". Je lui dis: "Sire, il en a beaucoup; mais en vérité ces jeunes personnes en ont beaucoup aussi: elles entrent dans le sujet comme si elles n'avaient jamais fait autre chose". Il me dit: "Ah! pour cela, il est vrai". Et puis sa majesté s'en alla et me laissa l'objet de l'envie: comme il n'y avait quasi que moi de nouvelle venue, il eut quelque plaisir de voir mes sincères admirations sans bruit et sans éclat. Monsieur le prince, madame la princesse me vinrent dire un mot; madame de Maintenon, un éclair: elle s'en allait avec le roi; je répndis à tout, car j'étais en fortune.
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