POEMES DE MARGUERITE DE NAVARRE
VOUS M'AVIEZ DIT QUE VOUS M'AIMIEZ BIEN FORT
Vous m'aviez dit que vous m'aimiez bien fort,
Bien fort, bien fort, et ainsi je l'ai cru,
Mais tôt après vous fîtes votre effort
D'en dire autant en un lieu que j'ai vu :
Bien fort, bien fort, vous l'aimez, je l'ai su.
Il vous faut trop de forces pour deux lieux
Si fort aimer, mais prenez pour le mieux
Deux bons ciseaux coupent notre amitié,
Et retenez l'autre, qui a vos yeux,
Forces et coeur : tant de double et gracieux
Satisfera trop bien de la moitié.
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CANTIQUE SPIRITUEL
Je n'ai plus ni père, ni mère,
Ni soeur, ni frère
Sinon Dieu seul auquel j'espère,
Qui sur le ciel et terre impère;
Là-haut, là-bas,
Tout par compas;
Compère, commère,
Voici vie prospère.
Je suis amoureux non en ville,
Ni en maison, ni en château,
Ce n'est de femme ni de fille
Mais du seul bon, puissant et beau:
C'est mon Sauveur
Qui est vainqueur
De péché, mal, peine et douleur;
Et a ravi à soi mon coeur.
Je n'ai plus, etc.
J'ai mis du tout en oubliance
Le monde et parents et amis,
Biens et honneurs en abondance,
Et les tiens pour mes ennemis.
Fi de tels biens,
Dont les liens
Par Jésus-Christ sont mis à rien,
A fin que nous soyons des siens.
Je n'ai plus, etc.
Je parle, je ris et je chante
Sans avoir souci ni tourment,
Amis et ennemis je hante,
Trouvant partout contentement:
Car par la Foi
En tous je voi
Leur vie, qui est, je le croi,
Leur vie, qui est, je le croi,
Tout en Tout, mon Dieu et mon Roi.
Je n'ai plus, etc.
Or puis donc que Dieu est leur vie,
Et que je le crois Tout en tous,
Il est mon ami et m'amie,
Père, Mère, Frère et Époux;
C'est mon espoir
Mon sûr savoir;
Mon Étre, ma force, pouvoir,
Qui m'a sauvé par son vouloir.
Je n'ai plus, etc.
Las ! que faut-il plus à mon âme
Qui est tirée en si bon lieu,
Sinon se laisser en la flamme
Brûler de cette amour de Dieu?
Et en brûlant,
Le consolant
D'amour, qui rend le coeur volant,
Et sans fin la bouche parlant,
Je n'ai plus, etc.
Amis contemplez quelle joie
J'ai, étant délivre de moi,
Et remis en la sûre voie
Hors des ténèbres de la Loi.
Ce réconfort
Est si très fort,
Que rien plus ne désire, au fort
Qu'être uni à lui par ma Mort.
Je n'ai plus, etc.
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LE TEMPS EST BREF ET MA VOLONTE GRANDE
Le temps est bref et ma volonté grande,
Qui ne me veut permettre le penser ;
Ma passion me contraint et commande,
Selon le temps, le parler compenser.
Jusques ici j'ai craint de m'avancer,
En attendant un temps de long loisir,
Mais il n'est pas en moi de le choisir;
Par quoi du peu faut que mon profit fasse:
En peu de mots vous dirai mon désir,
C'est que je n'ai volonté ni plaisir
Que d'être sûr de votre bonne grâce.
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