ENEIDE
Nourri d'Homère, Virgile a donné à ses compatriotes leur grand poème national, l'Enéide, dont les douze chants retracent les légendaires aventures du héros troyen Enée après la prise de Troie: c'est la suite romaine de l'Iliade et de l'Odyssée. Dans la pensée des dieux qui veillent à l'exécution des décrets du destin, Rome est choisie d'avance pour prendre la succession de Troie, et c'est Enée, fils de la déesse Vénus et du Troyen Anchise, qui sera leur instrument. Après avoir couru maints dangers, le pieux Enée, dépositaire des dieux de sa patrie, abordera dans le Latium et y fondera la ville de Lavinium, d'où sortira Rome.
Au début du poème, nous voyons Enée, jeté par la tempête sur la côte d'Afrique, recevoir l'hospitalité de la reine de Carthage, Didon, qui le prie de reprendre dès l'origine les malheurs de Troie et de lui faire le récit de ses courses errantes. En dépit de sa douleur, Enée commence à raconter la ruse qu'employèrent les Grecs, après dix ans d'efforts infructueux, pour se rendre enfin maitres de la ville. Laissant sur le rivage troyen le monstrueux Cheval plein de leurs meilleurs guerriers, ils ont fait semblant de s'éloigner. Les Troyens, abusés par les dieux et par un traitre, Sinon introduisent le Cheval dans la ville. La nuit venue, la flotte ramène les Grecs qui pénètrent dans Troie: Sinon a libéré les Grecs de leur prison de bois, ils ont massacré les gardes et ouvert les portes. Cependant Enée dort...
C'était l'heure, si douce au coeur des malheureux,
Où le premier sommeil, par un bienfait des dieux,
Après le poids du jour se glisse dans nos veines
Et nous verse l'oubli des plus cruelles peines.
Et voici que je crus en songe voir Hector.
A mes yeux attristés il se montrait encor,
Comme autrefois, couvert de sang et de poussière,
Quand, les pieds transpercés d'une infâme lanière,
Il gisait sur le sol, trainé par deux chevaux.
Comme il était changé, le valereux héros!
ANDROMAQUE & HECTOR |
Qui revenait chargé des dépouilles d'Achille,
Lui, le chef respecté, protecteur de la ville,
Qui promena la torche et le fer des Troyens
Dans les flancs embrasés des vaisseaux achéens!
Les caillots d'un sang noir collaient sa chevelure;
Saignantes, je comptais les nombreuses blessures
Qu'il reçut sous les murs de la triste Ilion;
Et moi-même, pour lors pris de compassion,
Je lui disais, pleurant aussi sur ma patrie:
"O lumière de Troie et de la Dardanie,
Des makheureux Troyens, toi, le plus ferme espoir,
Hector, nous n'osions plus espérer te revoir!
Pourquoi tarder autant? Hélas! en ton absence,
Que de guerriers tuées, Hector, que de souffrances!
Mais toi, pourquoi ces pleurs qui rougissent tes yeux,
Pourquoi ce sang qui coule, et de quels bords affreux
Reviens-tu parmi nous? Quels indignes outrages
De plus beau des Troyens ont souillé le visage?"
Sans répondre à ces mots, il se penche vers moi:
"Fils de Vénus, dit-il, il faut fuir, hâte-toi!
Les Grecs sont dans nos murs; de son faite élevé
Troie en flamme s'écroule, et tout est consommé.
C'en est fait de Priam: Junon en est la cause.
Si le bras d'un mortel avait pu quelque chose,
Troie eût dût son salut au bras du seul Hector.
Cesse donc de tenter d'inutiles efforts.
Au fils d'une déesse Ilion expirante
Recommande aujourd'hui les dieux de ses foyers:
Prends-les pour compagnons de tes courses errantes;
Va, cours de mers en mers, affronte les dangers,
En dépit de Junon va fonder une ville
Où nos dieux exilés trouveront un asile".
Il dit, et dans ses bras, loin de l'antique autel,
Il m'apporte Vesta et son feu éternel.
Enée et ses compagnons, avec une énergie désespérée, se lancent dans la bataille suprême contre l'envahisseur. Voyant que tout est perdu, Enée écoute enfin le conseil d'Hector et part fonder une nouvelle Troie.
Virgile, Enéide, II, vers 268-317 et 361-369
Traduction de Henri Laignoux
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