HELOÏSE ET ABELARD
-UNE VRAIE HISTOIRE D'AMOUR AU MOYEN-AGE-
Héloïse et Abélard, c’est l'histoire d'un amour passionnel entre une jeune fille noble et orpheline, nièce du chanoine Fulbert, et un maître renommé des Ecoles parisiennes. Ils vivent une liaison honteuse, irrecevable pour les mentalités du temps, au début du XIIe siècle. De cette union clandestine, au nez et à la barbe de Fulbert qui ne se doute de rien, naît un enfant prénommé Astrolabe. Lorsque l'oncle trompé découvre la vérité, il exige que les deux amants se marient. Abélard se retrouve dans une impasse; son état de clerc ne lui interdit pas de se marier, mais un tel acte nuirait considérablement à sa réputation. Le mariage secret a tout de même lieu. Mais la rumeur commence à circuler. Pour sauver la face et faire illusion, Abélard place Héloïse au couvent d'Argenteuil.
Argenteuil où le temps de l'absence sublime le désir. Le temps des messages, que chacun s'exalte à écrire et à recevoir. "Sous prétexte d'étudier, nous nous livrions entiers à l'amour" écrivait Abélard Le couple, dès le début, prend plaisir à cet échange, au point de s'adresser sous le même toit des tablettes de cire. Aux sept premières lettres déjà connues qui ont largement contribué à faire passer les deux amants à la postérité, viennent s'en ajouter cent seize autres aujourd'hui traduites.
Provenant de Clairvaux et conservé à la bibliothèque de Troyes, où l'a découvert un médiéviste allemand, un manuscrit unique contient une correspondance amoureuse, située par son auteur dans la première moitié du XIIe siècle en Ile-de-France, et copiée au XVe siècle par Jean de Woëvre. Souvent allusives, ces lettres s'épanchent parfois sans équivoque. L'homme, comblé, s'exclame : « Nous n'avons pas besoin de mots, puisque nous avons la chose à profusion », ajoutant que les lettres suppléent à la présence. Une autre fois, après avoir dit que le billet reçu d'elle attise son amour, il promet : « Je préfère te le prouver en actes que le démontrer en mots, je désire trop te voir, je me consume de désir».
Le milieu culturel des deux personnages est à la fois religieux et littéraire. Sous leur plume abondent des images bibliques, prises surtout dans Le Cantique des cantiques, et des références au De amicitia de Cicéron, à la Pharsale de Lucain, et à L'Art d'aimer d'Ovide. La femme admire le maître, qui « déjà nourri au berceau de la philosophie, a bu à la fontaine de la poésie »; l'homme s'adresse à « la seule disciple de la philosophie parmi les jeunes filles de notre temps ». Les deux personnages peuvent donc à juste titre être identifiés comme Héloïse et Abélard : « Les lettres en effet leur vont comme un gant ; il n'y a pas un seul détail, dans le cours des cent seize messages conservés, qui rende cette solution improbable. Cette attribution possède un tel degré de probabilité qu'il est à ce jour impossible de trouver une meilleure option », selon Ewald Könsgen. L'emploi d'un mot insolite le prouve: la femme écrit qu'elle désire « une gouttelette de connaissabilité», sciabilitas en latin. Ce mot abstrait, Abélard vient en 1117 de le forger. Qui d'autre qu'elle pouvait le connaître ? Ce même mot figure sur la stèle érigée par Héloïse sur la tombe d'Abélard : « cui soli patuit scibile quidquid erat », « le seul à avoir tout éprouvé du connaissable ».
Ces missives, non datées, s'échelonnent à l'évidence sur une longue durée. On incline donc à croire qu'elles ont été échangées durant toute la période des amours, et à les dater de 1116-1118, jusqu'à Argenteuil le lieu du drame, car Héloïse voyait juste, il était inéluctable: les mentalités sont incompatibles. Abélard ne prête attention qu'au mépris des clercs pour le mariage, quand Héloïse appartient à une famille noble qui se juge déshonorée. Le secret ne répare pas. Abélard exige le mensonge, et donc Héloïse ment. Pour comble, une fois encore, elle disparaît. Lorsque les membres de la famille d'Héloïse découvrent enfin son refuge, leur colère les conduit à la méprise. Encore un outrage, un couvent l'endroit où les maris ont l'habitude de conduire leur femme lorsqu'ils veulent s'en débarrasser. Ils passent aux représailles, soudoient un serviteur et engagent un châtreur professionnel. De nuit, le serviteur ouvre la porte, l'homme va à la chambre où dort le maître, ses aides le maîtrisent, et il le castre. Pour achever la vengeance, le bruit se répand aussitôt et au matin les curieux s'assemblent devant la porte, ses élèves se lamentent, leurs cris le torturent, la honte le tourmente plus que sa blessure.
La victime porte plainte, châtreur et serviteur subissent la loi du talion: ils sont châtrés, et pour faire bonne mesure, ont l'oeil arraché. Mais les exécutants paient pour les commanditaires. Ce geste est un crime d'honneur commis par un clan. Quand Abélard accuse l'oncle, il lui reproche d'avoir été solidaire des siens sans comprendre ses scrupules de clerc. Mais Fulbert disculpé garde toute la tendresse d'Héloïse puisqu'il figure dans l'obituaire (registre des défunts) du Paraclet.
Mutilé, le maître va se cacher à l'abbaye de Saint-Denis et, ses plaies cicatrisées - au corps mais non à l'âme -, revêt l'habit bénédictin. Le même jour, Héloïse prend le voile à Argenteuil. Cependant, la brutalité de l'attentat a dû nuire à son prestige et encourager l'audace de ses ennemis, car il ne cesse depuis ce moment de recevoir des coups. Il les attire par sa lucidité d'esprit et son caractère atrabilaire sans doute aggravé par la mutilation. Il se rend indésirable à Saint-Denis, s'évade, se réfugie à Provins, obtient enfin la permission de quitter l'abbaye.
Abélard est libre, et seul. Des amis champenois lui donnent une terre, sur les bords de l'Ardisson, où il élève un oratoire. Mais il ne reste pas longtemps ermite. Ses étudiants, dès que sa retraite est découverte, accourent, construisent autour de l'ermitage de petites maisons de chaume et de roseaux, et lui font reprendre ses cours. La vie commune s'organise en une sorte de campus autogéré.
Mais l'indépendant reste suspect. Le comte Conan de Bretagne pense le sauver en le faisant élire abbé par les moines de Saint-Gildas-de-Rhuys. Tout autre que lui aurait été satisfait, lui est horrifié: ses moines sont grossiers, ignares, concubins, et surtout n'ont que faire de ses sermons. Un an plus tard, en 1129, un événement survient, qui lui offre une issue imprévue. Suger, muni d'une charte opportunément exhumée, chasse d'Argenteuil - qu'il dit appartenir à Saint-Denis - les moniales et Héloïse leur prieure; ce geste s'apparente fort à une revanche prise sur l'épouse des ennuis causés par le mari. Celui-ci a l'art de retourner la situation à son avantage. Il installe les expulsées au Paraclet, où il peut ainsi revenir à son gré. Ces visites lui rendent supportable Saint-Gildas. Mais les voisins champenois s'émeuvent, la rumeur enfle, cruelle pour un castré, l'empêche désormais d'y séjourner.
Cloîtré dans son abbaye bretonne, il y affronte des moines révoltés. C'est alors, en 1136, qu'il rédige le récit de ses malheurs passés et trace un tableau effrayant de ses tribulations. Héloïse apprend, horrifiée, la vie qu'il endure, lui écrit, et sa lettre entrelace l'angoisse devant sa mort et le rappel des délices passées. Elle va, elle aussi, à l'essentiel: s'il périt, elle veut sa dépouille. Et, s'écriant « jamais je n'ai cherché en toi que toi », elle lui redit son amour. Ses lettres du Paraclet, évoquant la brûlure du souvenir, reprennent les mots des lettres d'autrefois, lues et relues. Il répond, en moine écrivant à une abbesse. Elle insiste, en vain. Seule la prière composée pour elle laisse percer ses sentiments: « Vous nous avez unis, Seigneur, et vous nous avez séparés quand et comme il vous a plu... ceux que vous avez séparés l'un de l'autre dans le monde, unissez-les à vous pour l'éternité». Elle sait que c'est une maigre consolation. Abélard, de nouveau condamné en concile, sur le chemin de Rome meurt à Cluny le 21 avril 1142.
Le mausolée d'Héloïse, morte en 1164 et Abélard, sera édifié aux frais de l'Etat. C'est pour obtenir la faveur du public chrétien, hostile tout d'abord à l'idée de ne pas être enterré en terre bénie par l'Eglise, que la Mairie de Paris décida de transférer leurs ossements au Père-Lachaise en 1817, avec ceux des révérends pères jésuites, de Molière et de La Fontaine.
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