EXEMPLES DE LA POESIE LYRIQUE
LÉON-PAUL FARGUE
Léon-Paul Fargue (1876-1947) est un poète bohème. Ami de Valéry Larbaud, d’André Gide et de Paul Valéry, il fréquente aussi les “Mardis de Mallarmé”. Musique et invention verbale caractérisent pour lui une poésie à propos de laquelle il écrivait: « Il n’y a pas de sujets. Il n’y a qu’un sujet: celui qui écrit ».
Léon-Paul Fargue repense au narrateur de Sylvie de Gérard de Nerval. Le narreteur, après une soirée théâtrale, se remémore le Valois de son enfance et décide de quitter Paris pour Loisy. D’autre temps, d’autres moyens de transport. Fargue évoque la poésie des gares, les trains roulant dans la campagne et se met en scène avec humour pour évoquer le souvenir d’un baiser échangé à la vitre.
VOICI TANT D’ANNÉES!
Voici tant d’années! Gérard de Nerval partit dans la nuit pour aller revoir une figure de vierge..
Hier soir chantaient nos voitures le long du fleuve tout fêlé de lumière..
Départs! Vos chants et vos odeurs. Huées et plaintes des trains qui rêvent. Un couple tout noir sur un quai sonore..
On accueille un train de banlieue rempli de fanfares..
Mais le train pour nous refait son histoire..
Il crie les fanaux qui ont l’air si tristes.
Il crie les paysages traversés à tour de bras. Des gouffres pris de biais dans un grand bruit frais sur des ponts de fer qui grincent des dents…
Une halte encore où sonnent des voix lourdes, où tout le silence assiège les vitres.
Mais un autre train grince en cris noirs…
Une aube au coeur serré se lève.
La nuit a seché les pleurs de la veille et consacré les solitudes.
Sous le ciel pommelé que traverse un ange, de petites maisons isolées dorment encore, affinées par le crépuscule matinal..
Un coq de Caldecott crache un coquelicot!
Des laboureurs défont leurs gestes de travail, et la main sur les yeux regardent… Des bêtes au pacage tournent lentement, d’un mouvement de rite, d’un air sacré.
Les rivières sont encore toutes bleues d’ombre avec une écharpe de brume. La fumée du train s’embûche dans les bois humides comme une poursuite de fantômes..
Un village avec les bâches d’une fête qui s’installe, s’envole..
Des choux bleus tournent leur bonne face de Quasimodos saouls de lune..
On brûle de petites gares naïves avec leur intimité pâlotte l’horloge au centre, les employés qui sont du pays, leurs paniers pleins de volaille crieuse, et les trains d’intérêt local qui attendent…
Et puis, plus tard – les maisons d’une vieille ville rouge et noire jouent à saute-mouton dans les rochers. Les voilà qui font la haie et qui regardent par-dessus le fleuve
Parce que j’embrasse ton doux visage dans le médaillon de la vitre…
JACQUES ROUBAUD
Jacques Roubaud naissant en 1932 a participé aux activités de l’Oulipo fondé par Raymond Queneau, réunion d’esprits inventifs qui se proposent d’utiliser leurs connaissances en mathématiques pour favoriser l’imagination dans le domaine de la création artistique. Il fait également apel aux ressources du jeu de go chinois et songe à utiliser l’assistance par ordinateur.
Publié en 1986, "Quelque chose noire" exprime la douleur du poète qui a perdu sa femme, Alix Cléo. “Devant ta mort, je suis resté silencieux. Je n’ai pas pu parler pendant 30 mois. Je ne pouvais plus parler selon ma manière de dire qui est la poésie”.
DÈS QUE JE ME LÈVE
Dès que je me lève (quatre heures et demi, cinq heures), je prends mon bol sur la table de la cuisine. Je l’ai posé à la posé là la veille, pour ne pas trop bouger dans la cuisine, pour minimiser le bruit de mes déplacements.
Je continue de le faire, jour après jour, moins par habitude, que par refus de la mort d’une habitude. Être silencieux n’a plus la moindre importance.
Je verse un fond de café en poudre, de la marque ZAMA filtre, que j’achète en grands verres de 200 grammes au supermarché FRANPRIX, en face du métro Saint-Paul. Pour le même poids, cela coûte à peu près un tiers de moins que les marques plus fameuses, Nescafé, ou Maxwell. Le goût lui-même est largement un tiers pire que celui du nescafé le plus grossier non lyophilisé, qui n’est déjà pas mal en son genre.
Je remplis mon bol au robinet d’eau chaude de l’évier.
Je porte le bol lentement sur la table, le tenant entre mes deux mains qui tremblent le moins possible, et je m’assieds sur la chaise de cuisine, le dos à la fenêtre, face au frigidaire et à la porte, face au fauteuil, laid et vide, qui est de l’autre côté de la table.
À la surface du liquide, des archipels de poudre brune deviennent des iles noires bordées d’une boue crémeuse qui sombrent lentement, horribles.
Je pense: “Et l’affreuse Crème / Près des bois flottants”.
Je ne mange rien, je bois seulement le grand bol d’eau à peine plus que tiède et caféinée. Le liquide est un peu amer, un peu caramélisé, pas agréable.
Je l’avale et je reste un moment immobile à regarder, au fond du bol, la tache noire d’un reste de poudre mal dissoute.
Hiç yorum yok:
Yorum Gönder