Esprit bien représentatif de la face mélancolique et désabusée du premier romantisme, Etienne Pivert de Senancour est l’auteur d’un remarquable roman épistolaire: “Oberman”. Cette formule du roman par lettres, très prisée au 18ème siècle, se prête bien à l’expression des passions et des intrigues amoureuses: “La Nouvelle Héloïse” de Rousseau, “Les Liaisons Dangereuses” de Laclos en sont d’illustres exemples. Senancour se distingue de ces modèles sous trois points de vue.
D’abord, il s’agit d’un roman à une voix; seules les lettres d’Oberman nous sont données; le destinataire est réduit au rôle de boite à lettres au point que cette correspondance finit par ressembler à un journal intime.
Ensuite, la matière même du livre est constituée plutôt par les tourments de la pensée que par les peines du coeur. Le chagrin d’Oberman ne s’alimente pas à une déception particulière. C’est une inquiétude fondamentale, un ennui sans cause d’ennui, une lassitude qui ne succède à aucune lutte: “Dès longtemps, la vie me fatigue et elle me fatigue tous les jours davantage”.
Enfin, chez ce grand lecteur de Rousseau, sensible aux beautés de la haute montagne, la nature occupe une grande place: Oberman goûte surtout les paysages sauvages et désolés, saisis dans la lumière crépusculaire ou automnale, au moment de leur déclin; il y retrouve avec un secret plaisir l’écho de sa tristesse et l’image de sa précarité:“D’où vient à l’homme la plus durable des jouissances de son coeur, cette volupté de la mélancolie, ce charme plein de secrets, qui le fait vivre de ses douleurs et s’aimer encore dans le sentiment de sa ruine?"
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